Cette fois-ci, nous y sommes. Le Conseil européen qui s’ouvre ce jeudi va tenter d’aboutir à un compromis sur la question cruciale qui se pose désormais dans l’immédiat : l’Europe, avec ou sans la Grande-Bretagne ? Dit autrement : «Brexit or not Brexit. That is the question !»
Bien entendu, chacun souhaiterait qu’une solution soit trouvée. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, déploie des efforts homériques pour y parvenir. Les rencontres préparatoires se sont multipliées. Tout le monde est conscient qu’un échec mènerait tout droit à un «non» au référendum britannique et à une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il ne fait pas de doute que le divorce de la Grande-Bretagne et de l’Europe serait une catastrophe pour les deux parties.
Le problème est que le maintien de l’Angleterre au sein de l’Union européenne ne peut pas se faire en dénaturant l’Europe, c’est-à-dire en la retaillant aux mesures britanniques comme le propose Londres. David Cameron, qui a pris le risque d’organiser un référendum téméraire, cherche maintenant à en faire un instrument de pression, pour ne pas dire de chantage. «Aidez-moi ou nous partirons» se traduit en bon français par «cédez-nous ou nous partons».
Pour l’Union européenne, le Brexit serait un désastre et un affront. Un des principaux pays membres, certes toujours le moins allant, le moins engagé, le plus restrictif, le plus égoïste, quitterait l’Europe avec pertes et fracas. Au moment où souverainismes et nationalismes ne cessent de se renforcer sur le Vieux Continent, le message sonnerait de façon sépulcrale. L’Union européenne, censée se renforcer sans cesse, deviendrait désunion manifeste, la solidarité exploserait en conflits. Une contagion risquerait de se produire. Partout, la tentation de la surenchère, du défi se répandrait. D’autres départs menaceraient. Les marchés prendraient peur. L’hypothèse de la dislocation rôderait. Sans doute la zone euro tenterait-elle de resserrer les rangs, de renforcer sa cohésion et ses moyens, mais ce serait dans un climat de bruit et de fureur, sous la pression nationaliste, avec quelques Etats membres défaillants. Difficile d’accepter pareille perspective.
Pour le Royaume-Uni, le bilan ne serait pas meilleur. L’Angleterre redeviendrait une île, solitaire et fragile. La moitié de ses exportations vont vers l’Europe. La prospérité de la City dépend de son intégration dans le Vieux Continent. Les investisseurs fuiraient, la Grande-Bretagne perdrait toute influence sur les choix économiques et financiers de l’Europe, choix dont elle subirait cependant les conséquences. L’Ecosse se rebellerait et refuserait de s’associer au divorce.
Une crise avec Londres serait plus que vraisemblable. David Cameron s’est donc piégé lui-même. S’il n’arrache pas des concessions réellement majeures à Bruxelles, il perdra le référendum et précipitera le Royaume-Uni dans l’aventure. S’il obtenait ces concessions, l’Europe renoncerait à avancer et à progresser, alors qu’elle en a le plus grand besoin. Certains points sont négociables, qu’il s’agisse de simplification des normes, de démocratisation (rôle des Parlements nationaux), voire d’exemption (union toujours plus solidaire) bien qu’ils conduisent tout droit à deux Europe.
En revanche, la prétention britannique d’exercer un droit de regard sur les décisions de la zone euro est évidemment inacceptable. On ne peut pas être dehors et dedans, s’affranchir des contraintes mais revendiquer des pouvoirs. De même, faut-il un toupet prodigieux pour imaginer que la City puisse bénéficier de règles financières et bancaires plus avantageuses que celles du reste de l’Union.
Il est légitime de défendre bec et ongles les intérêts de son pays, certainement pas de prétendre à un régime de faveur. Là-dessus, c’est à Angela Merkel et à François Hollande de se montrer irréductibles. Quant au problème terriblement complexe des réfugiés et des migrants économiques, a fortiori des travailleurs européens en Grande-Bretagne, difficile d’accorder un statut sur mesure aux Britanniques.
En somme, l’alternative provoquée par David Cameron est redoutable : lui céder, c’est défaire l’Europe. Lui refuser, c’est ouvrir la voie au départ de la Grande-Bretagne. C’est donc amputer l’Europe. Il n’y a que de mauvaises «solutions à ce mauvais problème.
En 1946, Winston Churchill, le plus grand homme d'Etat du XXe siècle, avait, dans son discours de Zurich, appelé à la naissance des Etats-Unis de l'Europe… sans le Royaume-Uni. On aurait dû l'écouter, mais c'est trop tard. Il ne reste plus pour l'Europe qu'à espérer en la fermeté et en la cohésion de la zone euro et en l'énergie et la solidarité du couple franco-allemand. Comme toujours.