Même François Hollande se déclare féministe dans une interview donnée au magazine Elle quelques jours avant le 8 mars. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? Dans le même article, il se dit aussi socialiste, au cas où certains en douteraient. Malgré la multiplication de ces professions de foi, main sur le cœur à la veille de la fête obligée, l’époque n’est pas propice à l’égalité femmes-hommes.
Si, aujourd’hui, le Président se dit féministe, il y a quelques semaines il n’a pas hésité à restaurer une France Moulinex, du moins symboliquement. La création d’un ministère de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes lors du remaniement ministériel a fait resurgir dans les mémoires cette image idéalisée de la jeune femme années 50, ravie de jouer du robot ménager dans sa cuisine. A l’époque, aussi sincèrement qu’un François Hollande sans doute, la marque d’électroménager claironnait «Moulinex libère la femme». Les féministes n’ont pas eu assez de mots pour dénoncer ce retour en arrière. Le gouvernement a tenté de se défendre, mais le choix des termes reste une bévue : hors de la famille, point de salut pour l’égalité ?
La liberté des femmes est pourtant, et avant tout, d’ordre économique et politique. Les crises sont rudes au deuxième sexe. La lutte contre le chômage est toujours prioritaire sur le problème si «féminin» des temps partiels ou des familles monoparentales (respectivement 82 % et 85 % de femmes), principales trappes à pauvreté. Les maux et les causes sont connus, établis depuis longtemps par les féministes. Manque toujours un volontarisme politique conséquent.
Mais au-delà d'une croissance en berne, 2015 a montré une violence inédite envers le féminisme : par ricochet, la vague terroriste a repoussé encore plus loin les préoccupations égalitaires. Comment évoquer ce principe quand l'état d'urgence impose buts, mentalités et terminologies guerriers ? Les féministes ont été embarquées dans de nouvelles polémiques. Les agressions sexuelles de Cologne du 1er janvier ont provoqué un cruel schisme entre générations militantes, ouvrant une compétition désastreuse entre sexisme et lutte contre le racisme. Dans le débat sur la place de l'islam, c'est le féminisme lui-même qui se retrouve pris en otage. La liberté accordée aux femmes serait la valeur étendard d'une société européenne attaquée par l'islamisme. Si prolixes dans leur défense de la culture occidentale, les féministes de la liberté des mœurs - certes inestimable - se montrent nettement plus discrets quand il s'agit d'évoquer la parité en politique ou en économie.
Juxtaposés, tous ces événements dessinent la carte d'un féminisme défensif. Ce que l'historienne Laure Murat a analysé dans Libération (édition du 2 mars) : «Le féminisme moderne est forcé de se définir moins en faveur d'un idéal que contre un système.» Un «féminisme par défaut», énonce la chercheuse, toujours obligée de se justifier ou de se battre, traditionnellement contre le patriarcat, et aujourd'hui, contre le racisme et tous les intégrismes. Un sale moment à passer.
Lire aussi pages 20-21.