Menu
Libération
TRIBUNE

La gestion larmoyante de l’insécurité routière

Le nombre de morts sur les routes françaises a augmenté de 8,4 % en février 2016 selon les chiffres de la Sécurité routière publiés vendredi.
Sur l'A8, près de Nice, le 29 octobre 2015. (Photo Jean-Christophe Magnenet. AFP)
publié le 14 mars 2016 à 17h41

Le signe de l’autocar est devenu l’expression symbolique de la gestion larmoyante de l’insécurité routière par le gouvernement. A Puysseguin, Montflovin, Rochefort, des accidents d’autocars rares, n’impliquant pas la responsabilité de l’Etat, ont provoqué une affluence ministérielle et un flot de paroles compassionnelles exprimant le passage insupportable de l’incapacité décisionnelle à un excès de mise en scène des sentiments. Les responsables tentent de masquer la gravité d’un bilan de sécurité routière pitoyable, dont ils ne veulent pas assumer la responsabilité. Pour la première fois depuis trente-cinq ans, la France vient de subir pendant deux années successives l’accroissement de la mortalité sur les routes.

En novembre 2012, Manuel Valls avait fixé l’objectif gouvernemental de 2 000 tués en 2020. L’évolution au cours des mois suivants était compatible avec cette ambition. Le nombre de tués s’est abaissé à 3 268 tués à la fin de 2013, mais la courbe s’est inversée avec 3 464 morts en 2015. Il en fallait 2 912 pour respecter l’engagement gouvernemental. Une faillite dont j’affirme le caractère politique a remplacé les succès d’une décennie de réformes qui avaient réduit la mortalité de 61 %.

Face à ce désastre, pas un mot d’excuse, aucune expression de culpabilité, de reconnaissance de la somme d’erreurs à l’origine des centaines d’accidents qui pouvaient être prévenus. Des dirigeants inconsistants ont cru à une forme d’évolution devenue automatique, n’exigeant ni compétence, ni courage, ni décisions nouvelles contraignantes. Quand on abandonne la gestion interministérielle (pas de comité interministériel pendant trois ans), quand on refuse les propositions des experts, quand on tolère la désinformation et quand on ne sait pas gérer, la preuve de l’incompétence ne se fait pas attendre

Un dispositif, qui avait redonné sa crédibilité au système de contrôle et de sanctions des excès de vitesse, a été détruit par un ensemble de mécanismes associant différents acteurs.

Le premier coup de canif dans le dispositif a été l’acceptation, par Nicolas Sarkozy en septembre 2010, de l’amendement de sa droite populaire qui a affaibli le permis à points, en multipliant les stages permettant de les récupérer. L’accidentalité s’est accrue et le gouvernement a décidé de supprimer les panneaux annonçant les radars et d’interdire leur signalement. Le lobbying des producteurs d’avertisseurs de radars a été un modèle du genre. L’élection présidentielle se profilait à l’horizon et les décideurs publics ont mangé leur chapeau : rétablissement des panneaux et maquillage des «avertisseurs de radars» en «avertisseurs de dangers». Leur efficacité actuelle témoigne de la puissance des réseaux asociaux, plus de 95% des contrôles par des forces de l’ordre sont signalés.

L’alternance de 2012 se produit au moment où le rapport Colin, rédigé par l’inspection générale de l’administration (IGA), démontre que la moitié des points de permis qui devaient être retirés ne le sont pas. Cette destruction de l’équité pouvait être corrigée par les 29 mesures proposées dans le rapport. Rien n’a été fait. Par chance, le nouveau gouvernement a bénéficié de la mise en service, à partir du mois de mars 2013, d’une nouvelle génération de radars installés dans des véhicules banalisés en déplacement, mais le petit nombre de ces nouveaux véhicules et leur sous-utilisation a réduit leur efficacité. Il fallait sous-traiter leur usage en évitant de mobiliser des policiers et des gendarmes. Le gouvernement a décidé de faire ce choix en octobre dernier et la mesure serait opérationnelle à la fin de l’année 2016 ! Le rapport Colin décrivait également l’absence massive d’identification des conducteurs de véhicules d’entreprise flashés en excès de vitesse. L’amende est payée, mais les points de permis ne sont pas retirés. Il fallait imposer le carnet de bord permettant à chacun d’assumer ses responsabilités, cela n’a pas été fait.

Peut-on compenser ces défauts de qualité par l’adoption de nouvelles règles ? En mars 2013, le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) avait commandé à son Comité des experts un «projet stratégique» destiné à atteindre l’objectif de 2 000 tués en 2020. La proposition la plus importante était l’abaissement à 80 km/h de la vitesse maximale sur le réseau ne comportant pas de séparation des voies de circulation. Elle a été refusée par Bernard Cazeneuve qui a montré son ignorance complète de la sécurité routière dont il a la charge, lors d’un discours devant le CNSR le 13 mai 2015. Il a préféré une politique «tous azimuts» additionnant une soixantaine de mesures qui ne dérangeaient pas grand monde, mais se sont révélées inefficaces.

Les progrès de la sécurité routière sont assurés par des mesures pertinentes mais conflictuelles, exigeant des compétences et du courage. Le gouvernement a choisi l’exploitation des sentiments, solution de facilité fondée sur l’apparence, avec un spot télévisé émouvant mettant en scène les dommages produits au niveau des familles et des proches par les accidents de la route, et une attribution aux usagers du relâchement du respect des règles. La création d’un secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes est en cohérence avec l’abandon de la prévention par des actes.

C'est l'Etat qui doit assurer le respect des règles. Peut-on imaginer un ministre des Finances pleurant sur le déficit budgétaire au lieu de multiplier les contrôles fiscaux ? Faire le choix de provoquer l'émotion et de jouer un rôle de cellule de soutien psychologique est une dérive qui exprime la peur de s'opposer à ceux qui assurent la promotion des risques. Un président de la République qui affirme que «la sécurité routière, c'est une priorité, c'est une exigence» , alors qu'il n'a rien fait pour elle depuis 2012, est en décalage complet avec l'exigence de sincérité des citoyens. Il dévalorise sa fonction.