Le débat sur la réforme du marché du travail se concentre sur un aspect du texte proposé par le gouvernement qui est la lutte contre la segmentation du marché du travail entre CDD et CDI. Ce débat est important mais il est très loin des causes des divergences des marchés du travail en Europe. L’Allemagne a un taux de chômage inférieur à 5%, l’Italie et la France ont un taux de chômage deux fois supérieur et l’Espagne un taux de chômage plus de deux fois supérieur à celui de l’Italie. L’enjeu central des réformes du marché du travail doit être la convergence des marchés du travail européens d’une manière non-déflationniste, ce qui est nécessaire à la survie de la zone euro. Deux mesures sont aujourd’hui débattues, la coordination des politiques salariales au sein du Conseil de la compétitivité et la création d’une assurance chômage européenne.
La décentralisation des négociations salariales en Allemagne, autant que les lois dites Hartz, a été la réponse au milieu des années 1990 aux problèmes issus de la réunification allemande. L’intégration de l’ex-Allemagne de l’Est a conduit à une profonde mutation du marché du travail allemand et est donc un laboratoire de l’effet macro-économique des réformes du marché du travail, dans un pays où le modèle de cogestion, c’est-à-dire la présence des salariés au conseil de surveillance est encore solide. La décentralisation des salaires a eu pour effet une modération salariale extraordinaire en Allemagne. La croissance du coût unitaire du travail en Allemagne de 1995 à 2014 a été 10% inférieure à la moyenne européenne. Cette modération salariale allemande explique pour moitié l’extraordinaire capacité exportatrice (la compétitivité) de l’Allemagne qui en fait le pays le plus exportateur du monde, loin devant la Chine, ce qui est une des difficultés majeures de la zone euro. Rappelons que l’excédent de la balance courante allemande constitue un déséquilibre économique au sens même des traités européens. La réponse de l’Espagne à la crise de 2008 a été une modération salariale brutale, le coût unitaire du travail ayant chuté de 8% entre 2008 et 2014 (alors que la France a connu une hausse de 10%). L’effet de la modération salariale dans les autres pays de la zone euro expliquerait environ 2% du taux de chômage en France. C’est dire que le problème du chômage en France provient en partie du désajustement européen.
Plus que les différentes législations sur le marché du travail, ces mouvements relatifs du prix du travail expliquent grandement les divergences européennes en termes de chômage. Le taux de chômage est inférieur à 5% en Allemagne alors que les «rigidités» du marché du travail au sens de l’OCDE sont supérieures à celle de l’Italie où le taux chômage est plus du double. Les institutions du marché du travail en France ont réduit la réaction de l’emploi au cycle économique en France : moins de créations d’emplois en haut de cycle et moins de destructions d’emplois en période de récession. Les estimations de l’OFCE conduisent à une estimation de 220 000 emplois salariés marchands non détruits au plus fort de la crise par rapport à un cycle normal. Cela ne fait que confirmer les études empiriques qui ne trouvent pas de lien direct entre les institutions du marché du travail et les performances en termes d’emploi.
Face à de tels déséquilibres, il existe un risque réel qu’une concurrence pour la modération salariale ne favorise que temporairement certains pays européens et fasse plonger la zone euro en déflation, comme le montre l’inflation négative au mois de février. La France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie représentant 70% du PIB de la zone euro, il y a un risque d’une spirale de faible inflation, faible hausse des salaires et donc de la demande et une croissance atone. Après l’erreur de la trop grande austérité budgétaire européenne depuis 2011, il convient de prendre très au sérieux la question de la demande européenne.
La proposition d’introduction en Europe de conseils en charge de la réflexion sur la compétitivité de chaque pays – dans un rapport dit «des Cinq Présidents», importants mais inconnus du grand public tant la défiance vis-à-vis du projet européen est grande –, constitue un début de réponse. Ces conseils peuvent être un embryon de coordination des politiques salariales en Europe, comme celle de l’évolution des salaires minimums, pour faire converger les marchés du travail sans concurrence pour une modération salariale. L’introduction récente d’un salaire minimum en Allemagne à un niveau élevé est un élément encourageant. Il existe cependant un risque que ces conseils ne soient qu’une instance disciplinaire de plus qui demande des baisses régulières de salaires. Il y a donc un enjeu économique concret autour de l’orientation des institutions européennes qui manque dans le débat français, souvent trop abstrait sur l’Europe.
Une autre piste, proposée dans une note récente du CAE, est la constitution d’une assurance chômage européenne, facilitant une convergence des marchés du travail de la zone euro. Comment envisager une telle assurance alors que les marchés du travail sont si différents ? Les Etats-Unis donnent l’exemple d’un marché du travail hétérogène entre les Etats avec l’existence d’une assurance fédérale qui aide les Etats qui connaissent une crise économique. Le système fédéral étend alors la période d’indemnisation des chômeurs.
Il existe donc deux propositions concrètes pour faire converger les marchés du travail en Europe : la coordination des réglementations du marché du travail au sein de nouveaux conseils de la compétitivité et une assurance chômage européenne. A n’en pas douter, des évolutions équilibrées de droit du travail en France peuvent permettre de faciliter l’obtention d’un CDI ; cependant, le cœur du problème du chômage en France est macroéconomique.