REUTERS/Francois Lenoir
Le gouvernement d’Alexis Tsipras passera-t-il
l’été ? Disposant d’une courte majorité de trois sièges (153 sur 300), la
coalition formée par Syriza (144 sièges) et ANEL (9 sièges), un parti de droite
radicale, aura le plus grand mal à survivre à la réforme des retraites qui doit
être adoptée dans les prochains mois. Beaucoup à Athènes, où je me trouvais il
y a dix jours pour une conférence, parient sur des élections anticipées en
juillet prochain… Des élections que les partis d’oppositions, en pleine
restructuration, ne souhaitent pas, car la victoire qui leur semble promise, si
l’on en croit les sondages qui montrent une chute brutale de la popularité de
Syriza empêtré dans les réformes exigées par la zone euro, interviendrait trop
tôt.
Ce parti de gauche radicale (qui plonge ses
racines dans le communisme aligné sur Moscou), amputée de son aile d’ultra-gauche,
a pourtant gagné les élections de septembre 2015 avec 35 % des voix (le premier
parti rafle un bonus de 50 sièges), soit à peu près le score qu’il avait
enregistré en janvier 2015. Un score étonnant si l’on se rappelle que Syriza
n’avait obtenu que 4,6 % des voix en septembre 2009. Il doit son succès à
l’effondrement du PASOK, le parti socialiste, passé de 44% des voix à 6 % (17
sièges et encore en coalition avec un parti de centre gauche, le Dimar). Rendue
responsable de la crise par les citoyens (c’est lui qui a dû gérer les premiers
programmes d’austérité), sa quasi-disparition de l’échiquier politique
s’explique aussi par le passage avec armes et bagages d’une grande partie de
ses cadres, et pas forcément les moins corrompus, chez Syriza qui apparaissait
comme le mieux à même d’assurer leur survie...
Syriza à 20-25 % dans les sondages
Si le parti de Tsipras a réussi à maintenir
ses positions en septembre 2015, en dépit de la trahison du suffrage populaire
exprimé lors du référendum « anti-austéritaire » du mois de juillet,
ce n’est plus le cas aujourd’hui. Car le Premier ministre, qui n’a rien fait
pendant huit mois, trop occupés par son bras de fer avec la zone euro, n’a désormais
plus le choix : pour prix du sauvetage du pays, il doit mettre en œuvre
des réformes qui font mal, comme la poursuite du
programme de privatisation ou la réforme des retraites qui s’accompagne d’une hausse d’impôts pour les préserver au maximum. Pour ne rien arranger, «
l’économie ne repart pas et le problème des réfugiés, avec lequel il va falloir
apprendre à vivre, va peser sur les finances publiques et l’activité
touristique, la première source de revenus du pays », énumère un diplomate
grec. Surtout, les Grecs constatent que Syriza, en dépit de ses promesses, n’est
pas si pressé que cela de réformer l’impotent État grec : rien d’étonnant
à cela, puisqu’une grande partie de sa clientèle est composée de fonctionnaires
qui ont tout à perdre si on touche à leurs prébendes. Aujourd’hui, Syriza est
donné autour de 20-25 % dans les sondages, soit une chute de dix à quinze
points par rapport à son score de septembre 2015. Comme il fallait s’y
attendre, l’abandon de la fonction tribunitienne n’est pas sans risque…
Les conservateurs, eux, pourtant tout aussi
responsables de la crise que le PASOK, ont moins souffert des turbulences
politiques récentes. Historiquement, cela n’est pas étonnant : si la
gauche non communiste a connu de nombreux avatars depuis que la Grèce a conquis
son indépendance, ce n’est pas le cas de la droite conservatrice qui représente
une force stable. Ainsi Nouvelle Démocratie a obtenu 28 % des voix aux
dernières élections et est désormais donnée à 25-30 %.
Des conservateurs en restructuration
Depuis janvier dernier, elle est dirigée par
le jeune Kyriakos Mitsotakis, le fils de l’ancien premier ministre grec,
Constantin Mitsotakis : cette famille, avec celle du fondateur du parti,
Constantin Karamenlis, s’est toujours partagé la direction du parti. Mais il ne
faut pas s’y tromper : réformateur, Kyriakos Mitsotakis a été élu contre
l’appareil du parti (et la quasi-totalité du groupe parlementaire) à l’issue d’un
vote ouvert à l’ensemble de la population. En clair, il ne contrôle pas encore ND,
ce qui explique qu’il ne souhaite pas d’élections anticipées cette année :
tant qu’il n’aura pas fait le ménage, le retour au pouvoir des conservateurs ne
peut que se traduire par un retour du clientélisme et de la corruption qui ont
ruiné le pays. Le congrès du parti, prévu pour le mois d’avril, s’annonce donc déterminant
pour l’avenir et de Mitsotakis et de ND.
Surtout, si l’on en croit les sondages, une
victoire de ND ne ferait qu’inverser la situation actuelle : les
conservateurs ne disposeraient que d’une majorité relative, ce qui les
contraindrait à trouver une alliance afin de s’assurer une majorité, exactement
comme l’a fait Syriza en s’alliant avec ANEL. Le temps où les deux principaux
partis réunissaient 80 % des voix semble définitivement révolu.
Centre gauche, KKE et Aube Dorée au coude-à-coude
D’où la volonté des petits partis de centre
gauche de s’allier au sein d’une « confédération de gauche », un serpent
de mer de la politique grecque depuis 2013, afin de constituer cette force d’appoint
à une Nouvelle Démocratie refondée. L’idée serait que To Potami, dirigé par
Stavros Théodorakis, le PASOK, DIMAR, mais aussi le Mouvement des socialistes
démocrates de l’ancien premier ministre socialiste Georges Papandréou (moins de
3 % des voix aux élections de janvier 2015, il ne s’est pas présenté aux
élections de septembre). Selon l’ancien dirigeant du PASOK, Evangelos
Venizelos, cette confédération aurait vocation à réunir environ 10 % des voix. Le
président du groupe parlementaire de To Potami (4 % des voix et 11 députés),
Harry Theoharis, vient de quitter ses fonctions dans l’espoir de prendre la
direction de cette confédération. Le problème est que chacun de ces partis a l’ambition de diriger cet ensemble et que To Potami, qui a l’ambition
d’incarner le renouveau, craint se compromettre avec des formations incarnant
l’ancien système.
Enfin, pour compliquer un peu plus la situation, le KKE (communistes staliniens) et les néo-nazis d'Aube Dorée connaissent des hausses nettes dans les sondages, aux alentours de 8-9 %.
On le voit, le paysage politique grec est
extrêmement mouvant et incertain, à l’image de ce qui se passe dans tous les
pays qui ont connu des cures d’austérité : Portugal, Irlande, Espagne. Les
citoyens, qui ont l’impression justifiée d’avoir été menée en bateau par des
partis qui les ont conduits à la faillite, sont à la recherche d’une nouvelle
donne. De cette recherche, le pire comme le meilleur peut émerger. « En
attendant, cette incertitude nuit aux investissements étrangers et donc au
redressement du pays », analyse un fonctionnaire européen.
N.B.: Article repris sur le site de Ethnos aujourd’hui ;-)