Antoine Glaser, à l'œuvre déjà mûrie, raconte, dans un livre grinçant et aux arguments étayés, la suffisance diplomatique, économique et militaire des élites françaises en Afrique. Et cette France, justement ? En bien toujours, malgré les indépendances, en costume flanelle, visage pascalien, logique cartésienne, grimpant quatre à quatre les marches, une plume qui ne rature jamais et toujours ce murmure, signe d'un entre-soi de façon à n'être entendu de personne. Et surtout pas des Africains, naturellement. Voilà ce qu'écrit Glaser : «A Paris, on ne doute jamais des dossiers africains. On sait. Du sommet de l'Etat aux assistants techniques, on est plus souvent en position de donner des leçons que d'apprendre.»
Et pour que le tableau qui va suivre soit complet, Glaser poursuit : «Aujourd'hui, le Quay d'Orsay semble croire que le plus sûr moyen de connaître l'Afrique, c'est Internet.» Antoine Glaser, c'est Balzac en Afrique. Dans ce livre, le journaliste écrivain, l'un des plus remarquables spécialistes du continent, peint des types éternels. Et de ce point de vue, les Français en Afrique sont indémodables. Commençons par nos chefs d'Etat. Ils sont tous intervenus militairement, à l'exception de Pompidou. «Malgré les discours et un demi-siècle de formation des armées africaines, la France demeure seule au front dans toutes les configurations : elle a été pseudo-humanitaire au Biafra [sous De Gaulle, ndlr], tragicomique en Centrafrique sous Bokassa [Giscard], dramatique avec le génocide rwandais [Mitterrand], pathétique en Côte-d'Ivoire [Chirac] et même sous le mandat des Nations unies, inconséquente en Libye [Sarkozy], désespérément seule au Mali [Hollande]. Et, c'est toujours la présomption de connaître la situation et les hommes qui la pousse à la faute», constate Glaser. Aujourd'hui, «n'est-il pas présomptueux de vouloir contrôler 5 millions de kilomètres carrés avec 3 000 hommes de l'opération Barkhane, alors que 150 000 soldats américains en Afghanistan n'ont pas réussi à venir à bout de leurs ennemis disposés sur seulement 600 000 km2 ?» s'interroge-t-il. A propos de types «balzaciens», l'auteur nous en livre de fameux spécimens : les hommes d'affaires et les diplomates. Et ces businessmen ? «Ils avaient vécu trop longtemps sous cloche dans l'espace protégé des anciennes colonies, développant leurs affaires.» Une analyse du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), le lobby des entreprises françaises implantées sur le continent, explique : «La part de marché de la France en Afrique a été divisée par deux au cours de la dernière décennie, passant de 11 % à 5 %. Dans ce sens, il s'agit d'une baisse qui a largement profité aux pays émergents, dont la Chine.»
Un symbole, passé inaperçu en France, mais qui a «traumatisé» les milieux d'affaires en Afrique fut le passage sous pavillon japonais du groupe Compagnie française de l'Afrique occidentale (CFAO), le plus vieux comptoir français en Afrique (1997). La cession de la CFAO (automobiles, pharmacie, etc.), ex-propriété du groupe Pinault, marque pour Jean Ping, ex-président de l'Union africaine, poids lourd de la politique gabonaise, «la fin d'une certaine histoire française en Afrique».
Antoine Glaser, lancé, donne en quelques lignes un échantillon de l’étrange stratégie d’Areva au Niger. Un véritable morceau de choix. Dans ces milieux d’affaires, dans cette dégringolade affairiste, seul un trio de pater familias tire son épingle du jeu : Bouygues, Bolloré et Pierre Castel, le roi de la bière sur le continent.
Passons aux militaires. L'état des lieux fin 2015 de cette diplomatie militaire ? «L'armée française est seule sur tous les fronts. Elle s'est repliée sur son pré carré d'Afrique de l'Ouest, jusqu'au Tchad et en Afrique centrale.» Antoine Glaser cite Gildas Le Lidec, ex-diplomate chevronné qui, dans son livre De Phnom Penh à Abidjan, fait claquer le fouet : «Je ne veux pas faire ici le procès de la Françafrique, dont je pensais vivre les derniers soubresauts, mais m'inquiéter seulement du mode opératoire et du plan de communication dont nous entourons nos interventions trop rapidement qualifiées de victoires […] alors que l'histoire nous a enseigné si souvent que l'enlisement guettait toute offensive.» Jean Ping, encore lui, dans une confidence faite à Libération il y a deux semaines : «Fabius ne s'est jamais intéressé à l'Afrique. Le seul ministre des Affaires étrangères pour les Africains, c'est Le Drian.» Mais là où Glaser donne toute sa mesure, c'est dans son portrait d'une diplomatie française en Afrique. Il y a 40 pages de ratés, de bêtises, d'ignorance crasse et de suffisance. La diplomatie française en Afrique repose dans un lit de petits plis blancs. Comme au funérarium. Il ne manque que le Te Deum.L'auteur visse le dernier boulon du cercueil en citant Frederick Cooper, américain, prof d'histoire : «Depuis le milieu des années 70, la France tente d'exclure en tant qu'immigrés indépendants, les fils et filles de ceux que, dans les années 50, elle tentait de conserver en tant que citoyens au sein de l'Empire.»