Au soir des attentats les plus meurtriers qu'ait connu la Belgique, le 22 mars, nulle déclaration martiale déclarant la guerre à Daesh, nul coup de menton pour proclamer l'état d'urgence ou la « fermeture des frontières », comme l'a fait François Hollande le 13 novembre dernier, alors que Paris était encore ravagée par les tirs des terroristes. Le petit Royaume de 11 millions d'habitants a, au contraire, choisi la retenue, le refus de la stigmatisation : « Dans ce moment noir pour notre pays, je veux appeler chacun à faire preuve de calme, mais aussi de solidarité. Nous devons faire face à cette épreuve en étant unis, solidaires, rassemblés », a déclaré Charles Michel, le Premier ministre belge (libéral francophone), évoquant, avec émotion, « des vies fauchées par la barbarie la plus extrême ». « Face à la menace, nous continuerons à répondre ensemble avec fermeté, avec calme et dignité », a pour sa part déclaré le chef de l'Etat, le roi Philippe, dans une brève adresse au pays : « gardons confiance en nous-même. Cette confiance est notre force ».
« Nous n'avons pas eu de dérive sécuritaire à la française », se réjouit Manuel Lambert, conseiller juridique de la Ligue des droits de l'homme : « Charles Michel, depuis le début de la vague d'attentats, a répété que la Belgique agirait dans le cadre de l'Etat de droit et qu'il n'était pas question d'adopter un Etat d'urgence à la française ». De fait, il n'existe aucune loi équivalente dans le droit belge, pas plus d'ailleurs que dans les autres législations européennes, l'Etat d'urgence étant un héritage de la guerre d'Algérie. « Alors que la France a notifié au Conseil de l'Europe, en novembre dernier, la suspension de plusieurs articles garantissant le respect des droits de l'homme, comme on peut le faire en cas de danger public menaçant la vie de la nation, la Belgique ne l'a pas fait et n'a pas l'intention de le faire ».
Interrogé mercredi matin sur la RTBF, Jan Jambon, le ministre de l'Intérieur, membre de la N-VA, a balayé d'un revers de main l'instauration de « pouvoirs spéciaux » qui permettraient à l'exécutif de statuer sans passer par le Parlement (sur le modèle des ordonnances à la française) : « ce n'est pas dans la culture de notre démocratie. Je ne sais pas ce que ça rapporte. On a pris beaucoup de mesures (…) Je pense qu'on doit rester cool, vraiment maîtriser la situation et voir si on doit ajouter des mesures ». Bart De Wever, le leader du parti nationaliste, est sur la même longueur d'ondes, comme il l'a déclaré dans le journal L'Écho de samedi : « Ce serait une erreur que d'annoncer de nouvelles mesures après chaque attentat ».Bref, rien à voir avec la frénésie législative française depuis les attentats de Charlie Hebdo.
« Je préfèrerais, à tout prendre, qu'on ait un état d'urgence à la française, plutôt que de toucher au corps même de notre droit pénal, car cela menace l'Etat de droit et donc la situation de l'ensemble des citoyens », tranche Christophe Marchand, un avocat pénaliste qui défend de nombreux « returnees », c'est-à-dire les combattants rentrant de Syrie et d'Irak. « La situation est effrayante, ces jeunes ont subi un lavage de cerveau et beaucoup d'entre eux ont commis des crimes de guerre : il faut des mesures exceptionnelles, mais qui s'appliquent seulement à eux, car le risque est gigantesque », insiste ce ténor du barreau bruxellois. Le danger, il en convient, est que l'état d'urgence devienne le droit commun, comme en France, où le gouvernement veut introduire dans le Code pénal les principales mesures de cet état d'exception. « Même si les dérives sont pour l'instant limitées, rien n'est écrit pour l'avenir », met en garde Manuel Lambert. D'ailleurs, le gouvernement belge envisage bien de proposer l'instauration d'un niveau d'alerte 5 (4 actuellement) afin de créer une sorte d'état d'urgence « light » pour une période limitée permettant d'interdire les rassemblements, d'instaurer un couvre-feu ou encore d'assigner administrativement à résidence des personnes fichées… La mesure est en discussion entre les partenaires de la majorité gouvernementale.
N.B.: version longue et mise à jour de mon article paru dans Libération du 24 mars.