Cela fait deux ans que Manuel Valls est entré à l’Hôtel de Matignon. Il connaissait parfaitement les lieux pour avoir été jadis l’attaché parlementaire de Michel Rocard, puis naguère le conseiller pour la communication et la presse de Lionel Jospin. Depuis le 31 mars 2014, c’est en tant que Premier ministre qu’il est revenu rue de Varenne. En arrivant, il avait l’image originale et soigneusement élaborée d’un clemenciste catalan, c’est-à-dire du champion d’une gauche idéologiquement modérée, politiquement très ferme, portant des valeurs d’autorité, de laïcité, de patriotisme (dans la tradition de Clemenceau) mais aussi de modernité, d’ouverture, de réformisme (la touche catalane).
Encore quadragénaire à l'époque, il entendait bien incarner le renouvellement de la gauche, sa conversion à un réformisme novateur, sans complexe et sans tabou. Il voulait être la gauche du XXIe siècle. Jean-Luc Mélenchon sort tout droit du socialisme utopique du XIXe siècle, orateur magnifique, idéologue chimérique, stratège vindicatif ; François Hollande personnifie la social-démocratie du XXe siècle, verbe lyrique, pratique pragmatique, habileté labyrinthique ; Manuel Valls entrait déjà dans le post-socialisme, sentiments de gauche, raison centriste, espérances expérimentales.
Deux ans plus tard, le bilan est très contrasté. Les circonstances ont été féroces. Attentats dramatiques de janvier et de novembre sur le sol national ; courbe du chômage refusant obstinément de s’inverser ; échecs de plus en plus cruels aux élections intermédiaires, jusqu’à ramener le PS, lors des récentes élections législatives partielles, à son étiage de 1962, quand la SFIO de Guy Mollet semblait sur le point d’agoniser ; fractures internes de la gauche, rupture avec le Front de gauche, guérilla permanente des frondeurs ; anxiété générale, en particulier dans les classes populaires, face au chômage, à la précarité et aux mouvements migratoires spectaculaires venus du Moyen Orient ; environnement de guerres et de conflits : un climat général proche de celui des années 30.
Face à cela, Manuel Valls a démontré une fermeté spartiate, un autoritarisme consulaire. Dans le tandem qu’il forme avec François Hollande, on a constamment l’impression que le chef de l’Etat a un mode de gouvernement orléaniste et le Premier ministre, une technique de pouvoir bonapartiste. Manuel Valls a prononcé, en janvier 2015, devant une Assemblée nationale conquise, le plus beau discours du quinquennat. Tout y était : le courage, le patriotisme, l’éloquence, l’appel à l’unité. On rêvait. Quinze mois plus tard, on grimace.
François Hollande a été contraint de retirer son projet de révision constitutionnelle. On sait que la retraite est la tactique militaire la plus difficile à réussir. Elle a été un échec qui affaiblit aussi le Premier ministre : celui-ci ne dispose plus au Palais Bourbon que d’une majorité résiduelle, aléatoire. Pire : la loi El Khomri, qui devait être le symbole ultime du réformisme hollando-vallsien, est dépouillée chaque jour d’une disposition supplémentaire, jusqu’à ressembler à un paon déplumé.
Manuel Valls peut bien courir d’un studio à l’autre pour défendre son action. Il peut tenir sur l’islamisme, sur le salafisme, un discours vigoureux et sans illusion. On ne peut pas, de bonne foi, dénier au Premier ministre son autorité mais on peut juger son bilan frustrant. Seule une éclaircie durable sur le front de l’emploi pourrait le revaloriser.
En attendant, sa popularité, patrimoine initial enviable, ne cesse de reculer et de se banaliser, alors que Bernard Cazeneuve s’impose et qu’Emmanuel Macron se propose. La ligne Valls reste cependant lisible et cohérente. Il entend bien demeurer jusqu’au bout au côté de François Hollande, même si leurs relations se sont tendues. Il aura ainsi accompli les trois années rituelles qui installent durablement un Premier ministre dans le paysage. Il mènera campagne au côté du chef de l’état, un exercice qu’il affectionne et où il pourra s’affirmer sans grand risque puisqu’il ne sera pas le candidat. Si néanmoins François Hollande décidait finalement de ne pas se représenter, alors Manuel Valls disputerait évidemment la primaire et, même si l’aile gauche du PS tentait de lui faire barrage (mais en désordre, éparpillée entre plusieurs candidats et candidates), il serait le mieux placé pour représenter la majorité sortante. Comme celle-ci ressemble à une peau de chagrin, ce serait plutôt pour Manuel Valls l’occasion de prendre date et de préempter la suite.
La gauche d’après 2017 sera en effet à reconstruire et même à réinventer. Manuel Valls s’y prépare depuis longtemps. Il n’en aura pas le monopole : Emmanuel Macron, par exemple, fera entendre sa musique personnelle et les frondeurs installeront la cacophonie. Reste que si Manuel Valls n’aura pas pu être un Premier ministre heureux, il apparaîtra dans un an comme un homme d’avenir.