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Une bière aux origines du monde

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Et si, en décapsulant une bière au Tchad, on remontait au premier homme ?
Etiquette historique de la bière Gala
publié le 6 avril 2016 à 10h51
(mis à jour le 7 avril 2016 à 0h40)

En 2015, le Tchad a fêté uncinquantenaire passé inaperçu : celui de ses brasseries nationales, crééesen 1965, soit cinq ans après l’indépendance. La date est loin d’être anodinedans l’histoire tchadienne : il s’agit de l’année où ont explosé lesrévoltes du Mangalme qui donnent le coup d’envoi de la rébellion. Celle-ci estconsacrée politiquement dès l’année suivante, en 1966, avec la création duFront de Libération nationale du Tchad (Frolinat) qui fédère sous la directiondu docteur Abba Siddick tous les mouvements rebelles hostiles au pouvoir duprésident Tombalbaye.

François Tombalbaye, le 04 août 1959 à Paris, le premier président du Tchad après la proclamation de son indépendance le 11 août 1960. Photo STF / AFP

Loin d’être anecdotique, l’histoirede la bière épouse celle du pays ; ou plutôt, les Brasseries du Tchad (BDT)savent très bien jouer depuis les années 2000 de l’histoire du Tchad et dusentiment national. C’est sur les bières Gala, produit phare des BDT, que selit cette stratégie. La Gala est la bière la plus populaire et la plus répandueà travers le pays ; elle est aussi considérée comme la plus « nationale ».C’est en 1964 que les Brasseries du Logone brassent la première bière Gala à Moundou ;en 1965 est lancé le marché des Gala à travers tout le pays.

En 2004, les Brasseries du Tchad(BDT) naissent de la fusion entre les Brasseries du Logone et les Boissons etGlacières du Tchad, installées depuis 1971 à N’Djamena... et qui appartiennent aupuissant groupe Castel, parti du Cameroun. Les BDT sont donc nées de l’offensivedu groupe Castel au Tchad à l’aube des années 2000 et deviennent une filiale duGroupe BGI Castel : le symbole de ce virage est la création en 2006 à N’Djamenade la grande usine de brasserie des BDT, et la production au Tchad de la bièreCastel. Mais dans l’opinion publique tchadienne, la bière Gala représente belet bien l’ADN « national » – ou tout au moins originel – de la bière.

C'est pourquoi l'étiquette de dosdes bouteilles de Gala recouvre une identité bien particulière au regard desautres bières d'Afrique. Tout au long de l'année 2015, pour fêter lecinquantenaire, ces étiquettes sont frappées d'une carte du Tchad aux troiscouleurs du pays (bleu, jaune, rouge). Par-dessus, est inscrit un texte :il ne s'agit pas de la description règlementaire de la composition de la bière,comme c'est traditionnellement le cas, mais d'une référence à l'histoire duTchad. Référence, naturellement, qui constitue soit une identité ou un story telling de la marque BDT, soit unsentiment d'orgueil ou de consensus national. Pour illustrer le premier cas, letexte le plus répandu concerne la création en 1965 du marché de la Gala. Mais pourillustrer le deuxième cas, le texte le plus répandu concerne « Toumaï »....et les origines de l'homme récemment découvertes au Tchad.

En 2001, la missionpaléoanthropologique franco-tchadienne met au jour dans le désert du Djourab(Tibesti) un crâne fossile vieux de 7 millions d'années. Cette découverte conduità la définition d'une nouvelle espèce, le Sahelanthropustchadensis. Cette découverte remet en cause l'East Side Story énoncée par Yves Coppens en 1983 qui situait lesorigines de l'homme dans la vallée du Rift, dans la Corne de l'Afrique. C'est d'ailleursCoppens lui-même qui assume la remise en cause de son East Side Story au lendemain de la découverte du crâne du Djourab. Unerévolution scientifique fondamentale sur les origines de l'homme s'est jouéedans le désert au Nord du Tchad.

Stéréolithographie du crâne de « Toumaï »

Le nom donné à ce crâne fossile endit long sur la place qu'il occupe dans l'imaginaire tchadien : « Toumaï ».Cela signifie « espoir de vie » en gorane. Le nom a été choisi par leprésident Idriss Déby en personne. Dans la tradition gorane, « Toumaï »est le nom donné aux enfants nés juste avant la saison sèche, car leurs chancesde survie sont traditionnellement très minces (les plus minces de toutes lesnaissances dans le pays). « Toumaï » est donc devenu, depuis 2001, unobjet fondamental du patrimoine national tchadien : il suffit pour s'enconvaincre de voir l'énorme panneau installé aux portes de l'aéroport « HassanDjamous » de N'Djamena qui souhaite la bienvenue au visiteur qui vient dedébarquer, et sur lequel le Tchad est qualité de « pays de Toumaï ».Et chaque buveur de Gala, en lisant cette histoire, a en arrière-fond de l'étiquettela carte du territoire tchadien orné des trois couleurs du drapeau national. L'histoirede « Toumaï » sur les Gala ne dure cependant que quelques lignes eton fait grâce au buveur des détails paléoanthropologiques et des révisions de l'East Side Story, car sous la chaleurtchadienne il convient de boire la bière tant qu'elle reste fraîche. Mais enquelques secondes de lecture, le message « national » est bien passé :l'origine de l'homme s'est jouée quelque part au Tchad qui peut s'afficher, àtravers « Toumaï », comme le berceau de l'humanité...

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