L’Union européenne ou la crise sans fin... Les
Néerlandais, en rejetant, mercredi 6 avril, par référendum, l’accord
d’association entre l’Union et l’Ukraine, ont accru le gite d’un bateau
européen secoué par les crises à répétitions, et ce, juste avant une autre consultation
autrement plus périlleuse qui décidera, le 23 juin, du maintien ou non du Royaume-Uni
dans l’Union. Certes, les Néerlandais ne se sont pas prononcés sur leur
appartenance à l’Union, ce sujet ne pouvant pas être soumis à référendum, mais
le scrutin était un test de la popularité de la construction communautaire dans
ce pays qui fait parti des six premiers signataires du Traité de Rome de 1957.
Le verdict est, a priori, sans appel, puisque 61,1 % des Néerlandais ont voté
« non » (un vote négatif concentré dans les campagnes et les petites
villes). Mais, en réalité, on est loin d’un raz-de-marée : ce premier
référendum d’initiative populaire n’a mobilisé que 32,2 % du corps
électoral, ce qui signifie que seuls 2,45 millions de Néerlandais sur 12,5
millions ont rejeté l’accord d’association. Néanmoins, il sera difficile au
gouvernement libéral-social démocrate du Premier ministre Mark Rutte de ne pas
tenir compte du résultat, même s’il est juridiquement consultatif. Un scrutin qui
pose aussi de redoutables défis à l’Union. Passage en revue des conséquences.
Le référendum néerlandais n’a pas d’impact
immédiat. De fait, l’Union a décidé d’appliquer provisoirement l’accord
d’association avec l’Ukraine dès le 1er janvier 2015 afin de
soutenir économiquement un pays étranglé par la guerre larvée que lui mène la
Russie. « La période provisoire, qui
porte sur l’essentiel, c’est-à-dire l’aspect commercial, n’a pas de durée
limitée, ce qui nous donne le temps de trouver une solution », explique un
diplomate européen. « Il faut aussi éviter que ce référendum soit
instrumentalisé par Vladimir Poutine qui ne peut que se réjouir du coup
que viennent de porter les Néerlandais au régime ukrainien », poursuit-il.
C’est loupé, le Kremlin s’étant immédiatement réjoui de la
« défiance » ainsi manifestée par les Néerlandais, tout comme les
partis d’extrême droite qu’il soutient en Europe (le Front national en tête).
De fait, les événements de la place Maidan ont eu pour origine le refus du
gouvernement ukrainien de l’époque de signer, en novembre 2013, cet accord
d’association, ce qui a abouti à la
chute, en février 2014, du président pro-russe Viktor Ianoukovitch. C’est donc
un retournement de l’histoire qui doit particulièrement plaire à Moscou, puisque
la Russie considère que cet accord, pour lequel elle n’a pas été consultée,
avec un pays qu’elle estime faire partie de sa sphère d’influence est un
véritable acte d’agression… De là à ce que Moscou se sente conforter dans ses
revendications sur l’Ukraine après ce désaveu infligé aux États européens par
le peuple néerlandais, il n’y a qu’un pas qui donne des sueurs froides aux
chancelleries occidentales…
·
La politique extérieure de l'Union
paralysée.
Le non néerlandais est un coup dur pour la
politique étrangère des Vingt-huit. En effet, les principaux instruments de
l’influence de la première puissance économique du monde sont les accords
commerciaux, les accords d’associations et bien sûr les traités
d’élargissement. C’est par ces moyens que Bruxelles parvient à exporter ses
valeurs et ses normes, comme l’a montré sa gestion réussie de la transition
démocratique des anciennes Républiques populaires d’Europe centrale et
orientale, aujourd’hui membres à part entière de l’Union. « Ce sont aussi ces
accords qui nous permettent de maintenir la stabilité dans les Balkans »,
souligne un diplomate bruxellois. Négociés par la Commission sur mandat des États
membres, ces traités doivent être approuvés par l’ensemble des États membres et
ratifiés par le Parlement européen et les Parlements nationaux. Or, l’irruption
du référendum d’initiative populaire dans le champ diplomatique complique
singulièrement la donne, fragilisant un processus déjà complexe. En théorie,
lorsqu’un accord est purement commercial, ce qui est une compétence exclusive
de l’Union, l’approbation des parlements nationaux n’est pas requise, celle d’une
majorité qualifiée d’États membres et du Parlement européen suffisant. Mais la
plupart des traités comprennent des aspects politiques et surtout traitent de
sujets qui relèvent de l’unanimité (exception culturelle, visas, etc.), les
ratifications nationales sont nécessaires. « L’idée était d’inclure le
commerce dans une démarche politique afin d’en faire un instrument
diplomatique. Ne plus faire que du commercial pour éviter un référendum serait
une sacrée régression », met en garde un diplomate européen.
On a conscience, à Bruxelles, qu’il y a une
« fatigue de l’élargissement ». Les tenants du « non » aux
Pays-Bas ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils ont expliqué que l’accord
d’association avec l’Ukraine était un premier pas vers l’adhésion. Difficile de
leur donner totalement tort, puisque c’est ainsi que le présente Kiev, mais
aussi les pays d’Europe de l’Est désireux d’arracher l’Ukraine à l’influence de
Moscou et la Russie elle-même inquiète de cet expansionnisme de l’UE (et de
l’OTAN). La France est l’un des rares pays à refuser cette perspective d’élargissement
infini, mais elle est très minoritaire dans le politiquement correct
ambiant hérité de la chute du mur en 1989 : « il y a une hypocrisie à
affirmer la perspective européenne des Balkans, de l’Ukraine ou de la
Turquie », tranche un diplomate français. De fait, depuis les référendums
français et néerlandais (déjà) de 2005 sur le traité constitutionnel européen,
les gouvernements européens et la Commission savent que la majorité des
opinions publiques d’Europe de l’Ouest est vent debout contre tout nouvel
élargissement, l’adhésion de dix pays entre 2004 et 2007 n’ayant jamais été
digérée. Même la perspective d’une levée des visas pour ces pays ne passe plus.
Mais avouer officiellement que la porte de l’Union est fermée pour longtemps
risque de déstabiliser durablement ses marches. Bref, entre perdre son opinion
publique et prendre le risque de l’instabilité à ses frontières, l’Union
louvoie. Les Néerlandais ont tranché pour tout le monde.
·
Le projet européen contesté
« Il est horriblement difficile de gagner
un référendum sur la question européenne », euphémise-t-on à Bruxelles.
Depuis le traité de Maastricht de février 1992, on ne compte plus les
référendums négatifs : Danemark, Suède, Irlande, France, Pays-Bas, Grèce
et, sans doute, Royaume-Uni. En décembre dernier, les Danois ont ainsi refusé
de lever, par 53 % des voix, la dérogation que leur pays avait obtenue en
1992 dans le domaine de la justice et de la police. L’addition des
mécontentements, tant vis-à-vis de l’Europe que du gouvernement en place, constitue
presque toujours une majorité qu’il est difficile de renverser, « la
conjuration des forces rationnelles ne faisant que renforcer les tenant du
non », comme le note un diplomate bruxellois : « Il a aussi une
incapacité à démontrer la valeur ajoutée de l’Union en période de crise ».
·
L'incompatibilité du référendum
avec le système politique de l'Union européenne
La Suisse, qui pratique de façon assidue la
démocratie directe, a compris depuis longtemps que le référendum d’initiative
populaire était incompatible avec le système institutionnel de l’Union. Non pas
en lui-même, mais parce que le référendum est pratiqué au niveau national, ce
qui revient à donner un pouvoir de blocage à une infime minorité d’Européens. Un
référendum paneuropéen sur les questions qui relèvent des compétences de
l’Union, comme c’était le cas de l’accord d’association avec la Turquie,
permettrait de lever l’objection. Mais il n’existe actuellement aucun consensus
entre les États pour instaurer une telle procédure : pour eux, la
démocratie s’exerce pour l’essentiel dans un cadre national. Le référendum peut
donc remettre en cause un consensus difficilement obtenu entre les États et
entre les États et le Parlement européen y compris pour des textes adoptés à la
majorité qualifiée des États. Qui osera appliquer demain une directive ou un
règlement légalement adopté par l’Union, mais rejeté par un référendum ?
« Il peut vite devenir un instrument de chantage pour certains États,
comme on le voit en Grande-Bretagne, en Hongrie, en Pologne, ou pour les
Europhobes, ce qui paralysera durablement l’Union », met en garde un haut
fonctionnaire. Et il est difficile aux pro-européens de dénoncer ces
référendums nationaux sauf à être accusés de vouloir tenir à l’écart les
peuples, ce qui renforcera mécaniquement le camp europhobe. Le piège est
parfait.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 8 avril