François Hollande joue très gros ce jeudi 14 avril : il s’agit de savoir si le Président reste tout simplement audible pour les Français, c’est-à-dire s’il conserve assez d’ascendant pour rassembler une audience honorable et assez d’autorité pour parvenir à ouvrir une perspective, à donner du sens à son action, à clarifier et surtout à projeter sa politique. En quatre années de mandat, il n’a jamais réussi à incarner un projet à la télévision, moins encore à indiquer un horizon. Lors de chacune de ses émissions, il apparaissait comme une sorte de «Premier ministre bis», voire de co-ministre des Finances. Pour être juste, il faut distinguer. Dans les circonstances dramatiques, attentats ou opérations militaires, ses brèves allocations, moins de dix minutes, remplissaient leur office. En revanche, lors des émissions sur la durée, quand il disposait de quatre-vingt-dix minutes, il s’ensablait, il s’enlisait, se dispersant en démonstrations techniques, s’interdisant toute démarche historique. Chef d’Etat dans ses allocutions lapidaires, porte-parole du gouvernement dans ses émissions.
Cette fois-ci, à un an de la présidentielle, l’enjeu est encore plus important. Si François Hollande veut briguer un second mandat, il doit impérativement clarifier et assumer ce qu’il a fait, mais aussi définir, désigner l’objectif explicite de la fin de son mandat et esquisser ce qui pourrait le prolonger, bref, incarner sans hésitation ses choix actuels et faire pressentir ce que seraient les éventuelles étapes suivantes. Tâche particulièrement difficile, puisque les Français sont spectaculairement mécontents du bilan actuel, et profondément sceptiques sur une nouvelle proposition. D’autant plus acrobatique que ce qu’il a fait de plus positif dans son action actuelle ne figurait pas dans ses promesses de candidat et que ce qu’il y avait de plus positif dans ses promesses de candidat ne figure pas dans ses actions actuelles. François Hollande apparaît prisonnier des espoirs déçus de sa campagne et accusé de mener une politique bien éloignée de ses promesses. Socialiste dans ses promesses, social-libéral dans son action. Heureux en campagne, malheureux au pouvoir. Séduisant dans l’opposition, décevant aux commandes. Clairvoyant en privé et obscur en public. Affaibli comme aucun de ses prédécesseurs et néanmoins bien déterminé à se battre.
Car là réside la part de mystère de François Hollande : son inébranlable résilience. Aucun président de la Ve République ne s'est trouvé en si fâcheuse posture que lui à un an de la fin de son premier mandat. En 1964, le général de Gaulle disposait d'une robuste majorité. En 1980, Valéry Giscard d'Estaing était donné largement favori. En 1987, François Mitterrand était en train de reconquérir les Français. En 2001, Jacques Chirac lançait une terrible offensive sur le terrain de la sécurité. En 2011, Nicolas Sarkozy était encore crédité de solides atouts. En 2016, François Hollande est nu. Dans l'opinion, c'est le désastre : huit Français sur dix préfèrent qu'il ne se représente pas. Au Parlement, il ne dispose plus que d'une majorité négative (49.3). Au gouvernement, ses dernières réformes s'enlisent. Au Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon le défie et Pierre Laurent le rejette. Chez les écologistes, Cécile Duflot l'assassine quotidiennement. Au Parti socialiste lui-même, situation sans précédent, on conteste ouvertement sa candidature. A gauche, les uns veulent organiser une primaire sans lui et les autres une primaire contre lui. Difficile de se trouver en situation plus périlleuse.
Et cependant, François Hollande résiste et ne se décourage pas. Il ne sait pas s’il pourra être de nouveau candidat, mais il agit comme s’il se préparait à le redevenir. Il apparaît toujours imperturbable, enjoué, agile. Conscient de la difficulté, résolu à faire face. Il croit plus que jamais que les résultats économiques vont émerger. Il compte bien que ses adversaires vont se déchirer. Il a le sentiment d’avoir été à la hauteur durant les deux plus grands dangers de son quinquennat, la crise grecque qui pouvait emporter l’euro et la guerre contre l’Etat islamique. Il ne s’attend pas à ce que cela soit reconnu mais il en tire une certaine confiance. Il voit bien que les enquêtes d’opinion le condamnent, mais il sait qu’en politique les pires situations s’inversent parfois.
Il constate qu’il n’est ni le favori (c’est Juppé), ni le challengeur (c’est Sarkozy, c’est Le Maire, c’est Fillon), ni un outsider (c’est Marine Le Pen), ni moins encore un recours (c’est Valls). Il n’ignore pas que les facteurs objectifs se liguent contre lui. Il commence néanmoins une campagne implicite dès ce soir sur France 2. Neuf mois avant ses prédécesseurs en fin de mandat. Résilient.