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Libération
Chronique «Médiatiques»

Une passoire nommée France 2

L’exclusion de la syndicaliste Nadine Hourmant de «Dialogues citoyens» jeudi dernier et l’annulation d’un duplex avec le mouvement Nuit debout soulignent l’anachronisme total de France 2. Comme un parfum d’ORTF à l’heure des réseaux sociaux.
Nadine Hourmant, en 2013, à Rennes. (Photo Jean-Sébastien Evrard. AFP)
publié le 17 avril 2016 à 17h11

Il y en a un qu’on aimerait bien connaître, c’est celui qui a rayé le nom de Nadine Hourmant, de la liste des citoyens admis au privilège de porter devant le président la parole populaire. L’Elysée assure que c’est Michel Field. Field n’avouera jamais que c’est l’Elysée. Une chose est certaine : cela s’est passé entre les deux, dans une de ces discussions entre gros malins, où l’on se sait équipiers du même rafiot, tout en s’efforçant à l’avance de ne pas être entraînés dans le naufrage, et si possible d’en faire porter la responsabilité à l’autre.

Qui a eu peur de Nadine Hourmant ? Qui a eu peur de ce petit bout de bonne femme, déléguée FO chez le volailler Doux, dans le Finistère, et qui avait crevé l’écran voici quelques années sur le plateau de Pujadas, en vitrifiant tous les politiques présents, sans exception ? Qui l’a exclue du dispositif ? Qui a eu peur qu’admise dans le panel, elle vitrifie Hollande ? On aimerait bien connaître les hésitations, la tentation (et si finalement on risquait le coup tout de même), les affrontements éventuels entre gros malins de France 2 et gros malins de l’Elysée, dans leur rafiot commun.

A l’arrivée, si la main a tremblé, elle a tout de même tranché. On aimerait le connaître, le propriétaire de cette main, qui s’est senti assez de légitimité pour avoir le droit de faire ça, de rayer Nadine Hourmant de la liste des panélistes, le droit de rayer de la représentation de la France la classe ouvrière non lepénisée, le droit de décréter que c’était terminé les ouvriers, terminé, rentrez dans vos usines, dans vos volailleries bretonnes, depuis des décennies que vous êtes invisibles, pas de raison que ça change, on n’est plus en 36, on n’est plus en 68, vous ne faites plus peur à personne, on a décidé pour vous que ça ne changerait pas, et si vous voulez être audibles, visibles, adhérez au FN. On veut bien le peuple, mais sans la colère du peuple. A la niche, la colère. On veut bien le peuple, mais civilisé, domestiqué, faisant des phrases, et rentrant à la niche quand son temps de parole est écoulé.

Non seulement cette exclusion est politiquement scandaleuse, mais elle est professionnellement stupide. Sans Nadine Hourmant, l’émission a fait un bide d’audience. Avec Hourmant, aurait-elle fait mieux ? Sans doute. On aurait attendu le match. On aurait attendu que Hollande se fasse écrabouiller. On aurait d’ailleurs peut-être été déçus : peut-être aurait-il été très bon. Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande : ils aiment la castagne. C’est ainsi qu’ils sont sélectionnés, au suffrage universel direct à deux tours. Elle les réveille. Elle les ressuscite. Donc, l’élimination de Nadine Hourmant est forcément un sabotage, CQFD. Macron a-t-il un alibi ?

Tiens, c'est comme l'histoire de ce duplex annulé, toujours sur France 2, à la République. La séquence a été mise en ligne sur le site Acrimed. C'est lors d'un 20 Heures, le week-end dernier. Le reporter de France 2 se prépare à intervenir, il a mis son oreillette, quand il s'avise que les manifestants, derrière lui, brandissent une pancarte moquant la désinformation. Impossible de faire le duplex dans ces conditions, impossible que les téléspectateurs voient cette pancarte contre la désinformation. Il y renonce donc. «Vous avez perdu», dit-il à la foule. «On n'a rien perdu», répond la foule. Elle s'en fiche, la foule, de passer au journal de Laurent Delahousse. Elle a ses réseaux sociaux, sa radio (Radio Debout), sa télé (TV Debout), elle se fiche de Laurent Delahousse, elle ne sait même pas qui c'est, d'ailleurs elle croit que le week-end, c'est Pujadas qui présente les journaux du week-end. Delahousse, Pujadas, pour les manifestants de la République, ce sont de très anciennes icônes, plus inoffensives que vraiment malfaisantes, mais dont il est tout de même de bon ton de se moquer.

La télé d’Etat raye le nom de Nadine Hourmant. Moralité, la bannie est partout dès le lendemain, invitée de la matinale de France Info, invitée des chaînes privées d’info continue, elle débite partout la harangue qu’elle aurait débitée devant Hollande. La télé d’Etat censure une pancarte dans une manif. Moralité, la vidéo de l’incident court aussitôt, elle aussi, sur les réseaux sociaux. C’est bien la peine de se donner tant de mal pour tout verrouiller, pour tout calfeutrer, pour tout contrôler, pour s’apercevoir à la fin que l’on ne règne que sur une passoire.