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Libération
Chronique «Politiques»

Une élection à six inconnues

La prochaine présidentielle s’annonce comme la plus novatrice depuis la première désignation du chef de l’Etat au suffrage universel en 1965.
publié le 20 avril 2016 à 17h11

L’élection présidentielle de 2017 ne sera peut-être pas exaltante mais elle sera à coup sûr originale. Dès aujourd’hui, à un an du vote, elle comporte en effet six nouveautés, six inconnues qui en font l’élection la plus novatrice depuis la première désignation du président de la République au suffrage universel direct en 1965. Pour la première fois, il n’est pas sûr que le président sortant, achevant son premier quinquennat, se représentera au suffrage des Français pour solliciter un second mandat. Tous ses prédécesseurs l’ont fait mais lui se trouve dans une situation électorale tellement fragilisée que la question de sa non-candidature se pose nécessairement. Son intention est de se battre, sa préférence est d’être de nouveau candidat mais il faudrait pour cela que les circonstances s’améliorent sensiblement. François Hollande veut être candidat. Il le peut mais à condition que cela ne tourne pas au désastre, ce qui affaiblirait jusqu’à la fonction présidentielle. S’il se retirait de la course, la donne serait largement modifiée. Une primaire deviendrait nécessaire. Manuel Valls, peut-être Emmanuel Macron, à coup sûr plusieurs frondeurs se mesureraient. Première inconnue, et de taille.

La deuxième tient à l’éventuelle candidature de Nicolas Sarkozy. Tout porte à croire que l’ex-président se mettra sur les rangs. Il s’y prépare méticuleusement et n’est jamais aussi bon qu’en campagne et dans le drame. Si cela se confirme, ce serait également une «première». Jamais jusqu’à présent un ancien président défait ne s’était lancé dans la reconquête du pouvoir. Valéry Giscard d’Estaing en avait rêvé. Nicolas Sarkozy peut le faire. Dans leur majorité, les Français ne le souhaitent pas. Sauf blocage judiciaire, la probabilité est que l’ex-chef de l’Etat ira quand même. Deuxième nouveauté.

La troisième, sinistre et menaçante, constitue déjà une quasi-certitude : Marine Le Pen sera candidate et se qualifiera aisément pour le second tour de l’élection présidentielle. Il ne s’agirait pas, comme pour son père en 2002, d’une monstrueuse surprise mais d’un événement prévisible. Après plus de quarante ans de crises, de déceptions et d’épreuves, plus du quart des Français se tournent vers le nationalisme et la démagogie populiste. Marine Le Pen en est le très professionnel visage. Troisième nouveauté.

La quatrième concerne Alain Juppé. Le maire de Bordeaux est aujourd’hui le grand favori de l’élection présidentielle. Cela n’a rien de surprenant puisqu’il possède le profil le plus classique pour cette position avantageuse : modération, fermeté, expérience, rassemblement. Raymond Barre et Edouard Balladur se sont trouvés dans la même situation. A une grande différence près : cette fois-ci, pour la première fois, la droite organise une primaire ouverte. Le fait de ne pas être le maître de l’appareil perd donc de son importance. Plus la participation sera élevée et moins le poids des militants sera grand, plus celui des électeurs pèsera lourd. Or le double et violent rejet de François Hollande et de Nicolas Sarkozy facilitera grandement la participation. En ce sens, l’élection présidentielle se jouera sans doute au second tour de la primaire de droite : quatrième nouveauté.

La cinquième concerne la gauche de protestation et de rupture. Jean-Luc Mélenchon l’a prise d’assaut et en détient maintenant le contrôle. Il l’a réussi au culot, grâce à son talent oratoire unique. Il n’a pas de troupes, pas de programme, pas d’argent mais son éloquence exceptionnelle lui assure une présence permanente dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il a pris le PCF par surprise. Les communistes n’en reviennent pas d’avoir été mis devant le fait accompli. De leur côté, les écologistes se déchirent plus que jamais. Sur ce versant-là de la politique, Jean-Luc Mélenchon surplombe. Inutilement, puisqu’il ne se qualifiera pas pour le second tour mais audacieusement. Cinquième nouveauté : pour la première fois depuis 1920, le PCF a un chef qui ne sort pas de ses rangs.

Dernière nouveauté : une nouvelle génération apparaît nettement à l’horizon avec Manuel Valls, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, François Baroin, Emmanuel Macron. Ce n’est pas un mirage mais une promesse. Le Premier ministre serait d’assez loin le mieux placé pour se substituer à François Hollande en cas de besoin. Bruno Le Maire s’affirme, Nathalie Kosciusko-Morizet piaffe, François Baroin se prépare. Quant à Emmanuel Macron, c’est une start-up prometteuse et enviée, au beau milieu du CAC 40 politique. On n’avait jamais vu un encore inconnu il y a deux ans devenir si populaire au pouvoir en pareil laps de temps, depuis Georges Pompidou en 1962. Un grand corps de l’Etat, un passage chez Rothschild, des idées personnelles, un solide appétit et l’on gagne vingt ans. Et autant d’adversaires.

Cette chronique reprend le 3 mai.