Un groupe de presse anglais décide de créer un journal «positif», des bonnes nouvelles, qui mette le lecteur de bonne humeur. Mauvaise nouvelle : après neuf semaines, le journal coule. La semaine dernière, la correspondante à Londres de Libé rappelait qu'elle n'avait jamais vraiment cru au concept. Sur le cas particulier de ce journal, The New Day, il faudrait sans doute être plus précis. The New Day n'était pas totalement le «journal des bonnes nouvelles». Sans doute a-t-il aussi été victime d'un certain flou de sa ligne éditoriale et de son manque de moyens (25 journalistes). Reste intacte la question, éternelle : «Pourquoi la presse donne-t-elle essentiellement des mauvaises nouvelles ?». Pourquoi (exemple choisi au hasard) cette chronique «Médiatiques», qui ne saurait s'exonérer du travers général, ne parle-t-elle presque que des dérapages, des insuffisances, des emballements, de la partialité, des bidonnages des médias, et ne salue-t-elle jamais un reportage vibrant, une enquête audacieuse, une photo à couper le souffle, une harmonieuse mise en pages, un titre bien trouvé ? Une certaine mauvaise conscience taraude périodiquement tout journaliste normalement constitué. «Pourquoi donc est-ce que je m'obstine à plomber le moral de mes lecteurs ?»
Parce que c’est vendeur, coco, répond la Voix de la Fatalité. Les trains qui arrivent à l’heure, le public s’en moque. C’est pourtant intéressant, les trains qui arrivent à l’heure, cette grande machinerie prodigieuse, construite par des générations d’ingénieurs formés aux meilleures écoles, et qui orchestre le magnifique ballet de centaines de trains par jour, des milliers dans le monde. Oui mais voilà. Le public s’en fiche. Qu’on ne prétende pas le contraire. Au contraire, il va se précipiter sur les histoires de boulons mal vissés qui font dérailler les trains, sur les enquêtes cherchant à percer les raisons du vissage défectueux des boulons, et sur l’omerta sur le vissage défectueux des boulons. Car le public est hypocrite. Il jure qu’Arte est sa chaîne préférée, mais il ne la regarde pas. Il répond dans les sondages que la presse donne trop de mauvaises nouvelles, mais il ne lirait pas les bonnes. Et puis - seconde raison, plus honorable - elle est là pour ça, la presse. Pour dire ce qui ne va pas. Pour crier que ça souffre, que ça proteste, que ça opprime, que ça s’engueule, que ça guerroie, que ça ne tourne pas rond. Pour enquêter sur les boulons défectueux.
Malheureusement, cette fidélité à la religion des mauvaises nouvelles ne sauve pas la presse. Au bout d'un certain temps, le déferlement de mauvaises nouvelles sature le lecteur, d'autant plus que la dénonciation des dysfonctionnements ne contribue en rien à l'éradication de ces dysfonctionnements. Pourquoi cliquerais-je sur un article qui dénonce la corruption des élites, ou la 193e trahison de François Hollande, alors que la corruption ne s'en portera que mieux, et que le Président trahira jusqu'au bout. Sans doute d'ailleurs que des bonnes nouvelles ne remporteraient ni plus ni moins de succès. D'où la multiplication, dans la presse en ligne, de titres commençant par «pourquoi» ou «comment», porteurs de promesses d'explications dépassionnées, en ligne directe avec l'intelligence du lecteur. Mais gare : là aussi, la saturation menace.
Pour être complets, il existe dans la presse française un contre-exemple, qui suffirait à invalider la démonstration ci-dessus : le journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut sur TF1, inépuisable réservoir quotidien à bonnes nouvelles, du retour du mimosa à la permanence des petits métiers dans les provinces. Mais considérons que cette exception confirme la règle. D’autant que le 13 heures de Pernaut ne s’affiche pas comme un journal des bonnes nouvelles. Il s’affiche astucieusement comme un journal d’information «normal». Autrement dit, il est possible de faire ingurgiter des bonnes nouvelles aux téléspectateurs si on maquille la marchandise, ce qui rappelle d’ailleurs le traitement de l’actualité européenne. Contrairement aux idées reçues, il est parfaitement possible de parler d’Europe au grand public, à condition de ne pas le présenter ainsi, de prétendre que l’on va parler des fromages menacés, par exemple. A partir de ce constat, le chroniqueur passe le relais à ses collègues spécialistes des neurosciences pour une enquête qui pourrait être titrée : «Pourquoi les médias doivent vous vendre des bonnes nouvelles en douce».