«Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs» (article 35 de la Constitution de 1793). Mais qu'est-ce que l'insurrection d'un peuple libre ?
Selon les révolutionnaires, une insurrection de la loi, c'est-à-dire «l'expression subite à la volonté générale de changer de Constitution». Et comme c'est un devoir de s'insurger quand c'est nécessaire, c'est-à-dire quand la tyrannie vient peu à peu supplanter la liberté publique du fait d'un gouvernement oublieux ou méprisant les droits de l'homme et du citoyen, alors il y a des procédures prévues à cet effet dans la Constitution de 1793.
Article 115 : «Si dans la moitié des départements, plus un, le dixième des Assemblées primaires de chacun d'eux, régulièrement formées, demande la révision de l'acte constitutionnel, ou le changement de quelques-uns de ces articles, le Corps législatif est tenu de convoquer toutes les Assemblées primaires de la République, pour savoir s'il y a lieu à une Convention nationale.»
Article 116 : «La Convention nationale est formée de la même manière que les législatures, et en réunit les pouvoirs.»
Article 117 : «Elle ne s'occupe, relativement à la Constitution, que des objets qui ont motivé sa convocation.»
Dans toutes les Nuits debout, ce qui se dit d’une manière explicite, c’est que oui, aujourd’hui le gouvernement viole les droits du peuple, en fabriquant des lois oppressives au mépris de la hiérarchie des normes protectrices conquises dans la longue histoire du mouvement ouvrier et démocratique, en réprimant d’une manière disproportionnée le mouvement social qui s’exprime contre ces lois oppressives. Certes, il y a des casseurs qui cassent des choses et des symboles, mais la répression policière s’exerce sur les corps avec des armes parfois létales. Or, les lycéens, les étudiants et même les casseurs ne sont pas des choses mais bien des individus dotés de droits.
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Article 7 : «Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s'assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits. - La nécessité d'énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.»
Article 9 : «La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l'oppression de ceux qui gouvernent.»
Article 11 : «Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.»
Que sont alors ces Nuits debout ? Des lieux de résistance à l’oppression où les citoyens se sacrent eux-mêmes par le renouvellement de pratiques fondatrices. Les assemblées générales (AG) y ressemblent aux Assemblées primaires de la période révolutionnaire. Elles étaient les lieux de la délibération sur les lois où deux cents à six cents citoyens, domiciliés depuis six mois dans chaque canton, se constituaient autour d’un président, de secrétaires, de scrutateurs pour y décider de la validité des lois proposées par les législateurs. Ces assemblées étaient le lieu de la souveraineté populaire.
Les débats des commissions ressemblent à ceux des Assemblées populaires où chacun venait discuter et s’instruire sur les projets de lois, dire son opinion, son point de vue, s’éclairer mutuellement dans un mélange de gens lettrés et moins lettrés, instruits déjà et moins instruits, doués toujours d’un enthousiasme politique pour exercer la liberté de prendre part ainsi au pouvoir.
Certains diront que ce ne sont que quelques Français minoritaires et non l'universalité des citoyens qui sont présents dans les Nuits debout, qu'à ce titre ce ne sont là que simulacres. Parions plutôt sur l'idée de prototype. Cette sacralité retrouvée de la vox populi vox dei propre aux jansénistes, ennemis s'il en était de l'absolutisme royal, témoigne, comme alors, d'un fait récurrent : les «vérités éternelles» ne s'expriment pas par la puissance ou le nombre, mais dans le courage de l'action parfois solitaire. Robespierre le rappelait lorsqu'il récusait les notions de majorité et de minorité «nouveau moyen d'outrager et de réduire au silence ceux qu'on désigne sous cette dernière dénomination». Or, ajoute-t-il, «la minorité a partout un droit éternel ; c'est celui de faire entendre la voix de la vérité, ou de ce qu'elle regarde comme telle».