Madame, Messieurs,
Au vu du rôle déterminant que vous jouez dans la politique européenne, nous nous tournons vers vous avec un appel d’extrême urgence : il faut éviter que la Grèce et son gouvernement, démocratiquement élu, soient à nouveau submergés sous la pression qu’exercent les exigences de ses créanciers, continuellement exacerbées par les interlocuteurs avec lesquels négocie en ce moment le gouvernement grec.
La situation humanitaire catastrophique dans laquelle est plongée la Grèce est bien connue de tous. On sait qu’en outre le fardeau de l’accueil des réfugiés, auquel, à juste titre, elle n’a pas voulu se soustraire, pèse lourdement sur la population.
Dans cette situation, ce dont la Grèce a besoin est que ses voisins européens la soutiennent, et non pas qu’on lui impose un surcroît de mesures d’austérité insupportables. Le temps ne cesse de courir, et il n’y a plus un moment à perdre pour créer les conditions d’une sortie de crise pour la Grèce.
Il dépend de vous d’empêcher l’écrasement de toute possibilité d’action politique efficace, et de laisser ses chances à la démocratie dans ce pays de l’Union européenne.
Les problèmes étant ce qu’ils sont, la Grèce a besoin, à très brève échéance, pour équilibrer son budget public d’un financement additionnel. La stratégie «anticrise» imposée à la Grèce jusqu’à ce jour n’a cessé, en réalité, de l’aggraver. Elle doit être mise de côté pour de bon.
A l’instar des précédents, le troisième programme d’aide se présente comme une cure d’austérité draconienne qui sera sans utilité réelle, ni pour la Grèce ni pour ses créanciers. La demande abusive d’un excédent budgétaire primaire de 3,5 % de sa performance économique globale à partir de 2018 sera tout particulièrement dommageable. Imposer des restrictions supplémentaires après des années d’exigences analogues, qui ont ruiné l’économie, constitue une politique aveugle, dépourvue de toute justification économique, insupportable pour la population qui en fait les frais.
Nous formulons donc les requêtes suivantes que nous vous demandons de transmettre et de faire adopter par les institutions compétentes de l’Union européenne et par ses négociateurs à Athènes :
- Mise en paiement dans les temps convenus de toutes les tranches de crédits déjà accordées à la Grèce pour garantir le service de la dette, tout en mettant un terme aux exigences renouvelées de mesures d'austérité.
- Déblocage et fourniture à la Grèce des aides financières supplémentaires qui lui permettent de surmonter la crise humanitaire frappant sa population et d'organiser l'accueil des réfugiés présents sur son sol.
- Relance, avant la fin de l'année, du projet de restructuration de la dette grecque (allongement des délais de remboursement, réduction des taux d'intérêt), de façon à la rendre soutenable pour le pays. Ce qui impose également de revoir à la baisse les exigences de surplus budgétaires à court ou à moyen terme qui font l'objet de l'inflation actuelle.
Respectueusement vôtre.
Parmi les premiers signataires de cet appel, lancé à l’initiative de la Fondation Rosa-Luxembourg de Berlin :
Frieder-Otto Wolf philosophe(Berlin), Etienne Balibar philosophe (Paris), Jacques Bidet philosophe (Paris), Miriam Boyer sociologue (Berlin), Judith Butler philosophe (Berkeley), Nancy Fraser philosophe (New York), Sandro Mezzadra politiste (Bologne), Michèle Riot-Sarcey historienne (Paris), Ingo Schulze écrivain (Berlin).
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