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Libération
Chronique «Politiques»

Les batailles de la droite

Ce qui compte, ce ne sont pas les invectives sur ce qu’il reste de la loi El Khomri au sein d’une gauche en pleine perdition mais le programme franchement libéral d’une droite en situation de reconquête.
publié le 11 mai 2016 à 18h21

C’est le malentendu le plus étrange de cette dernière année du quinquennat de François Hollande : la gauche s’écharpe et s’étripe à propos de la petite loi El Khomri, alors que la droite, grande favorite pour l’élection de l’an prochain, annonce et révèle des programmes économiques de rupture, à côté desquels la loi El Khomri apparaît totalement insignifiante. La gauche se saborde en s’invectivant. Elle se scinde une fois de plus en deux parce que les uns refusent et que les autres soutiennent une loi de modernisation frileuse et modeste. Pendant ce temps, la droite avance des idées qui, pour la première fois depuis le gouvernement Balladur (1993-1995), il y a plus de vingt ans, choisissent résolument la logique libérale et préconisent des réformes radicales. Quant aux Français, si l’on en croit les multiples sondages, ils sont devenus hostiles aux maigres ambitions de la loi El Khomri mais ils s’apprêtent à porter au pouvoir ceux qui veulent chausser des bottes de sept lieues pour avancer vers une économie franchement libérale. Il y a contresens absolu sur les enjeux actuels. On s’obnubile sur l’accessoire (la loi El Khomri), on néglige l’essentiel (les propositions économiques de la droite). Ce qui compte aujourd’hui, ce ne sont pas les ultimes règlements de compte d’une gauche en perdition mais les batailles idéologiques d’une droite en situation de reconquête.

De ce côté-là, les commentaires ont porté jusqu’ici essentiellement sur les personnes et sur les modalités de la primaire présidentielle à venir. On s’interroge sur le nombre des Français susceptibles d’aller voter à cette primaire. On débat sur les effets de cette nouveauté à droite. Une forte participation avantagerait Alain Juppé, une participation plus faible ferait les affaires de Nicolas Sarkozy. Les uns annoncent 3 ou 4 millions de Français prêts à aller voter à la primaire, les autres pronostiquent un chiffre encore supérieur. En fait, personne n’en sait rien. On ironise sur les «petits» candidats et candidates qui cherchent essentiellement à profiter de l’exposition médiatique que procure la candidature à la candidature, sans l’ombre d’une chance de se qualifier. On compare surtout les profils des principaux candidats, ceux qui disposeront des parrainages nécessaires et pourront réellement tenter leur chance. On glose à l’infini sur la stature, l’expérience et l’ouverture d’Alain Juppé, sur le charisme, l’audace et la combativité de Nicolas Sarkozy, sur le sérieux, la cohérence et le travail de fond de François Fillon, sur la nouveauté, la résolution et la méthode de Bruno Le Maire. On critique aussi vertement l’âge et la raideur du maire de Bordeaux, la démagogie et l’intolérance de l’ancien chef de l’Etat, la réserve et la lenteur de son ex-Premier ministre, l’électoralisme et les contradictions de l’ex-ministre de l’Agriculture. On enregistre l’acharnement inlassable de Jean-François Copé. Et l’on passe à côté de l’essentiel.

Car, à lire leurs livres - les quatre favoris ont tous respecté ce rituel présidentiel français - à écouter leurs interviews et leurs discours, à déchiffrer leurs tribunes, on voit bien ce qui les rapproche - une orientation nettement plus libérale que sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy - et ce qui les différencie : le degré de libéralisme, les orientations européennes et les questions de société. Tous préconisent une rupture qui rendrait lilliputiens les efforts de modernisation des lois Macron et El Khomri. Le changement serait d’une ampleur comparable à celui du 10 mai 1981, lorsque François Mitterrand l’a emporté sur Valéry Giscard d’Estaing, en sens naturellement opposé. Sans doute s’agirait-il de la première réelle conversion de la France au libéralisme même forcément teinté ici de dirigisme. Un sujet et un pari d’une ambition sans pareille depuis les alternances et les cohabitations. Fin des 35 heures, retraite à 65 ans (pour commencer), suppression de l’ISF, réforme fiscale radicale, réécriture du code du travail, coupes massives dans la fonction publique, diminution drastique des dépenses. Les batailles de la CGT, de FO et des frondeurs ressembleraient alors à d’innocentes escarmouches.

Au-delà de ces convergences communes, de ce grand tournant collectif, des différences s’affichent cependant. En matière européenne, Alain Juppé se distingue nettement de Nicolas Sarkozy, François Fillon et Bruno Le Maire, seul euroréaliste face à trois eurosceptiques. En matière sociétale, Nicolas Sarkozy joue à fond le registre de l’identité nationale et de la sécurité. En matière économique, François Fillon va plus loin que les autres. C’est là que se situe désormais le débat. La loi El Khomri est un leurre. L’enjeu de 2017 se joue au sein du quatuor de la droite.