Le 49.3 est issu de la Constitution née de 1958. A l'époque, il s'agissait pour De Gaulle d'en finir avec le système des partis. Cinquante-huit ans après, c'est la même logique qui a conduit Manuel Valls et son gouvernement à l'utiliser. Le Premier ministres'est servi de cette arme constitutionnelle pour imposer sa volonté de recomposition de la majorité. Son projet est clair, pour lui, la gauche plurielle, rose-rouge-verte, a définitivement vécu, il faut donc l'achever et bâtir sur ses ruines la gauche sociale-libérale, revival de la troisième voie blairiste. Tony Blair, qui a entraîné son pays dans l'aventure irakienne de George W. Bush, au nom de «la guerre de civilisation», a poursuivi la guerre sociale entamée par Margaret Thatcher contre les syndicats, rompu les ponts avec le patrimoine historique et idéologique de toute la gauche. Manuel Valls est de la même veine ; ses discours, ses écrits, ses prises de position prouvent depuis longtemps qu'il veut en finir avec la gauche «archaïque» par tous les moyens. Cet objectif passe parfois par des phases de débat légitime, parfois par des provocations inutiles, parfois encore, et nous y sommes, par une volonté d'étouffer toute discussion de fond pour imposer ses propres vues de manière bonapartiste. De ce point de vue, son traitement de la loi travail est emblématique : dès avant la publication de l'avant-projet de loi, il a d'abord introduit délibérément dans l'interview de la ministre la possibilité d'introduire le 49.3, agitant ainsi un chiffon rouge, qui fit immédiatement son effet en provoquant aussitôt la mobilisation des organisations syndicales alors toutes rassemblées. Parallèlement, et en liaison avec le cabinet de son rival générationnel, Emmanuel Macron, il introduisit des dispositions inacceptables par toute la gauche : droit de licenciement généralisé, inversion de la hiérarchie des normes, baisse des indemnités aux prud'hommes. Ainsi volait en éclats le fragile compromis, trouvé entre les hollandais et Martine Aubry lors du dernier congrès du PS, sur le compte personnel d'activité (CPA), seule vitrine sociale présentable à l'électorat de gauche dans la dernière année du quinquennat, au profit de dispositions qui remettent en cause un des principes du droit public : la supériorité de la loi. Avec le 49.3, il a renié un deuxième principe, celui de la séparation des fonctions entre le législatif et l'exécutif. Il confirme ainsi l'impression, de plus en plus majoritaire chez les Français, que le Parlement et plus largement les politiques de tous bords sont impuissants à s'opposer au gouvernement invisible des multinationales. Une partie de la majorité de gauche n'a donc pu choisir en son âme et conscience entre des thèses concurrentes, entre l'intérêt général et celui du Medef. D'où cette question justifiée : pourquoi les élire ?
Contrairement à la légende, ce n’est pas De Gaulle qui voulait le 49.3, mais le MRP, l’ancêtre du Modem et de l’UDI - c’est-à-dire les alliés potentiels de Valls - qui cherchait à imposer cette disposition pour refuser aux parlementaires de débattre de la loi. Avec la SFIO de l’époque, le MRP était le pilier du système partidaire, qui fut rejeté par les Français pour son impuissance. De Gaulle céda au MRP, car son obsession était d’abord le recours au peuple, par la dissolution ou le référendum. Ce qui, en démocratie, n’est pas la plus mauvaise des solutions.
Quoi qu’il en soit, Valls avait déjà renié une première fois la séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu, quand il a banalisé l’état d’urgence avec la réforme du code de procédure pénale, qui fait entrer des dispositions d’exception dans le droit commun et institue, de fait, un état d’exception permanent où le juge est subordonné au policier et, même, au préfet.
La mise en scène des images de violence des manifestations, pour discréditer les rebelles à la loi travail et à son monde, n'est que la suite logique de cette primauté du recours à la force. En couvrant, dès le mois de mars, les violences policières contre les lycéens, en appelant en avril à encadrer de près les manifestants, il utilise la police comme bouclier de la politique de l'Etat et des institutions, quitte à renier les droits des citoyens. Le résultat de cette politique a notamment été visible le 1er Mai. Jamais on n'avait vu un tel déploiement de force dans un cortège de ce type, qui se déroulait avec la présence nombreuse de familles et de retraités. La manifestation fut saucissonnée à plusieurs endroits, provoquant l'exaspération de tous. Le résultat ne s'est pas fait attendre : l'utilisation de flash-balls, de grenades assourdissantes, interdites après la mort de Rémi Fraisse, a complété ce tableau, qui n'exonère en aucun cas la violence délibérée d'une mouvance autonome organisée.
En réalité, l'utilisation de la force brute, qu'elle soit législative, policière ou rhétorique, vise à imposer la vision du monde de la gauche néoconservatrice, devenue une deuxième droite. La «gauche» de Valls a une méthode : trianguler, transgresser, culpabiliser, pour «clarifier». Cette gauche-là est bonapartiste dans sa pratique politique, elle exalte l'identité française sur le registre du néorépublicanisme et surfe sur une idéologie de crise qui fleure bon l'occidentalisme. Mais comme le disait François Mitterrand, dénonçant «le coup d'Etat permanent» de la Constitution de la Ve République, accoucheuse du 49.3 - qu'il s'est pourtant appliqué à maintenir durant quatorze années de pouvoir -, «les républicains ne sont pas démunis. Au régime vieillot qui s'applique à perpétuer une société agonisante, ils peuvent opposer la promesse féconde d'un monde nouveau où la loi, sage et hardie, fera d'un peuple son propre maître. Ils ont de leur côté la liberté et la justice. S'ils l'osent, ils auront l'espérance».
En voulant pour la première fois déposer une motion de censure de gauche contre le gouvernement Valls, nous avons appliqué ce «principe espérance». Comme nos concitoyens de la place de la République, nous avons refusé de nous coucher devant le chantre de la gauche néoconservatrice. Nous avons choisi d’être des députés Debout… Et nous aurons d’autres motifs politiques de le montrer.
Noël Mamère est l’auteur, avec Patrick Farbiaz, de : Contre Valls, réponse aux néoconservateurs, les Petits Matins, mai 2016.