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Libération
TRIBUNE

Frondeur et socialiste, par Benoît Hamon

Face à un exécutif hypertrophié et un Parlement réduit au rôle de supplétif des initiatives du gouvernement, la fronde parlementaire peut rééquilibrer le jeu des pouvoirs dans la Ve République.
Benoît Hamon. (Photo Charles Plateau. Reuters)
par Benoît Hamon, député socialiste et ancien ministre
publié le 29 mai 2016 à 17h11

Je suis socialiste. Député et ancien ministre. Je n'ai jamais revendiqué ni aimé l'étiquette médiatique de «frondeur». Mais aujourd'hui, au regard du sens qu'elle prend dans la Ve République, je l'assume.

Tout a été dit sur le déséquilibre des pouvoirs dans la Ve République, un exécutif hypertrophié et un Parlement réduit au rôle de supplétif des initiatives gouvernementales. L'article 49.3 illustre cette subordination du Parlement et de sa majorité au gouvernement et à son chef. «Soumettez-vous ou démettez-moi», voilà en substance l'alternative à laquelle les parlementaires socialistes étaient confrontés jeudi 12 mai lorsque le Premier ministre a engagé la responsabilité de son gouvernement à propos de la loi travail. En France, on a ainsi pris l'habitude que l'exécutif indique au législatif jusqu'où exercer sa souveraineté, à coups de votes réservés, de seconde délibération, ou d'article 49.3. Le quinquennat de François Hollande n'échappe pas à cet usage.

Etait-il dès lors légitime de déposer une motion de censure de gauche contre un gouvernement issu des rangs de la gauche ? Cela était non seulement légitime mais nécessaire.

Comme les 56 parlementaires de gauche qui ont signé ce projet de motion de censure, j’ai pensé et j’ai mûri ma décision. Par respect de nos électeurs, par respect des citoyens en général, par respect aussi pour ceux de mes collègues députés ou sénateurs, socialistes sincères, élus de gauche qui contestent cette démarche, je veux éclairer ici ce choix.

Légitime, car moins que jamais l’utilisation du 49.3 n’est justifiable. Depuis 1962, jamais cette arme asymétrique du pouvoir exécutif pour faire taire le Parlement n’a débouché sur la censure du gouvernement. Sans en approuver la philosophie, on peut cependant admettre l’usage du 49-3 dans le cas où le Parlement bloque l’adoption d’une réforme préalablement défendue devant les électeurs lors des scrutins législatifs et présidentiels. Dans ce cas, on peut juger légitime que l’exécutif passe outre l’avis du Parlement pour faire adopter une réforme soutenue par le peuple. En l’espèce, la loi travail propose un cas d’école inverse. Voilà un texte peuplé de propositions jamais évoquées lors de la campagne présidentielle et orthogonal aux engagements du parti majoritaire. Ce texte provoque la mobilisation de la rue et recueille trois quarts d’avis défavorables chez les Français interrogés par sondage. Il ne trouve pas davantage de majorité politique à l’Assemblée nationale. Il est minoritaire partout. On peut donc parler, sans crainte d’être excessif, de déni de démocratie.

Nécessaire, car plus que jamais l'Assemblée nationale doit relayer les aspirations sociales et démocratiques du peuple français. «En politique, ce qu'il y a de plus difficile à comprendre et à apprécier, c'est ce qui se passe sous nos yeux», observait lucidement Tocqueville dans ses réflexions sur la démocratie. Chacun d'entre nous est ou a été menacé par ce syndrome qui altère le discernement indispensable à la recherche de l'intérêt général dans des périodes de forte contestation. On attribue aux conservatismes, à l'absence de sens des responsabilités, au populisme et aux postures, l'impopularité des «réformes indispensables». Au mieux reconnaît-on une faute de communication, concède-t-on un débat mal préparé. Mais cela s'arrête là. Et ce vice concerne tous les pouvoirs successifs imprégnés de la culture verticale de la Ve République, qui pare le pouvoir exécutif d'une forme d'infaillibilité et lui garantit par la Constitution une quasi-impunité politique.

L’Assemblée nationale a, certes, corrigé en commission le texte gouvernemental sur le travail. Celui-ci maintient cependant le principal motif de contestation : l’inversion de la hiérarchie des normes et la fin du principe de faveur. En cela, il rompt avec un principe établi depuis le Front populaire selon lequel un accord d’entreprise ne peut se conclure pour les salariés que par des dispositions plus favorables qu’un accord de branche et l’accord de branche à son tour ne peut être que plus favorable à la loi. On peut parfaitement vouloir le développement de la négociation sociale d’entreprise et s’opposer résolument à la remise en cause du principe de faveur qui incitera au dumping social. C’est ce que le gouvernement fait semblant de ne pas comprendre. S’agit-il de la surdité habituelle des politiques que les institutions éloignent du terrain ? Faut-il y voir la condescendance d’une élite convaincue de savoir seule ce qu’il faut faire face à la multitude ignorante ? Peu importe. Le contexte politique et social appelait une réplique démocratique.

La fronde parlementaire va contre les codes et les rites observés jusqu'ici dans la Ve République. En cela, elle redore le blason de la démocratie parlementaire au moment où l'extrême droite n'a jamais été aussi proche du pouvoir. La fronde s'affranchit des menaces des appareils et des rodomontades du gouvernement car le bon sens commande d'écouter le peuple au moment de changer malgré lui, le travail par lequel il vit, s'épanouit ou souffre. On ne change pas le code du travail avec une petite minorité de Français derrière soi, dont le patronat qui feint désormais la colère, là où la fin du principe de faveur représente pourtant une victoire historique et inespérée sous un gouvernement issu des rangs de la gauche.

La Ve République le permet pourtant. Rien de ce qui est fait n'est illégal. Et, c'est en cela que la Constitution de la Ve République représente un archaïsme qu'il faut abroger sans délai pour permettre à la France de retrouver la respiration démocratique qui lui manque tant. La fronde parlementaire offre un débouché dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale aux revers retentissants infligés au pouvoir par son propre électorat. Un débouché, parfois stérile, mais parfois efficace. C'est la fronde qui oblige par deux fois en un an le gouvernement à utiliser le 49.3 pour des lois économiques et sociales sans majorité parlementaire. C'est la fronde qui oblige le président de la République à renoncer à une réforme de la Constitution qui aurait réservé la déchéance de la nationalité aux Français binationaux.

Si la fronde parlementaire n’est pas une fin en soi, elle est une bonne nouvelle pour la démocratie française même si sa naissance et sa croissance ne se font pas sans difficulté ni douleur. Aux côtés de la multitude des initiatives démocratiques locales et nationales qui cherchent à rendre du pouvoir aux citoyens sur leur propre vie et celle de la nation, elle est annonciatrice d’un nouveau pacte démocratique.