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Libération
TRIBUNE

Le Festival de Cannes sort du ghetto avec Houda Benyamina

La caméra d’or récompense la réalisatrice, militante de la diversité au cinéma.
La réalisatrice franco-marocaine Houda Benyamina, à Cannes, le 22 mai, après avoir reçu son prix pour «Divines». (Photo Loïc Venance. AFP)
publié le 30 mai 2016 à 17h11

Sans doute avez-vous perçu l'émotion, la voix ferme, les mots forts, puissants, l'allure debout, frontale, guerrière de Houda Benyamina lorsqu'elle a reçu la Caméra d'Or du 69e Festival de Cannes, dimanche 22 mai. Sans doute avez-vous été surpris par son ton déterminé et sa vivacité. Aujourd'hui, ses mots résonnent encore en chacun de nous : «1000 Visages, on est là ! C'est possible.» Parce que si on rejoue le film à l'envers, rien ne nous avait prédestinés à une telle histoire. Créée par Houda Benyamina en 2006, suite aux révoltes qui avaient embrasé nos quartiers, l'association voulait ouvrir les portes du cinéma à ceux qui n'avaient pas de réseaux. Comédiennes et comédiens, nous avons choisi le cinéma pour dire quelque chose, enfouis dans nos cœurs. Réalisatrices et réalisateurs, nous avons choisi le cinéma pour raconter des histoires qui nous appartiennent. Et si certains parmi nous veulent suivre les traces des grands noms tels Pier Paolo Pasolini, Spike Lee ou Ken Loach, merci de veiller à respecter nos folles ambitions. Nous, militants d'une cause qui nous semble juste et joyeuse, serons toujours prêts à nous allier pour faire triompher nos vœux.

«J'ai fait le ménage dans des avions avec ma mère quand j'étais plus jeune, j'ai fait des boulots chiants. On n'a pas le droit d'être fatigué quand on fait du cinéma !» Non, nous n'avons pas le droit d'être fatigués quand on fait du cinéma. Nous devons avoir le corps fort, déterminé, endurant. Nous devons nous montrer infaillibles, tenaces, volontaires. Nos rôles se doivent d'être joyeux, romantiques ou violents. Nos films se doivent d'être courageux, drôles, engagés. Il en revient de notre mission de faire du cinéma. De tourner avec des équipes motivées. De faire des ateliers dans les quartiers pour partager, puis transmettre nos passions.

Nous sommes Oulaya, Jisca, Yasin, Lyna, Djigui, Kahina, Mounir, Souleymane, Samir. Nous avons été recalés à de nombreux castings. Nous avons été ignorés de certaines institutions de financements parce que nos films n’étaient pas ceux qu’ils attendaient de nous. Nous avons été, parfois, des quotas ou des alibis. Mais aujourd’hui, nous sommes le cinéma. «Cannes est à nous !» Et à travers Cannes, les caméras sont à nous, les mots sont à nous, les histoires sont les nôtres. Nous, jeunes des quartiers solitaires et loin des centres, des banlieues ou des campagnes, sans contacts dans ce monde en paillettes. Nous, élevés loin de ce monde du cinéma, avec des parents pour qui l’art n’était qu’un passe-temps, mais jamais un passe-droit. Nous, qu’on avait voulu, au mieux, comme figurants mais jamais comme premiers rôles ou techniciens de premier plan.

Le 22 mai 2015, Libération publiait une première tribune, signée des responsables de 1000 Visages dont Houda Benyamina, pour que «le cinéma français ne reste pas un ghetto». Dimanche dernier, nous étions tous dans la salle avec elle pour recevoir cette magnifique récompense. Nous étions là, à l'applaudir et l'acclamer. Nous étions sur la scène, avec elle, émus, motivés comme jamais pour continuer ce combat. A être des «guerriers artistiques», irréprochables. Des acteurs dévoués, brillants, cultivés. Parce que le temps peut paraître long, mais un an après cette première tribune, nous avons remporté la caméra d'or du festival de Cannes. D'autres ont aussi remporté les concours du Conservatoire national d'arts dramatiques de Paris et du Théâtre national de Strasbourg. Nous devons aujourd'hui nous donner rendez-vous l'année prochaine et entraîner avec nous toutes les nouvelles vagues qui voudront bien nous rejoindre.

Signataires :

Oulaya Amamra, Kahina Asnoun, Djigui Diarra, Samuel Germelus, Camellia Tezeni, Oussoufa Hassani, Juliette Speck, Isaac Kalvanda, Souleymane Sylla, Samir Zerouki, Yasin Houicha, Mounir Amamra, Deborah Lukumuena, Jisca Kalvanda, Hana Savane, Mehdi Meklat, Badroudine Said Abdallah, Mathilde Le Ricque, Holta Hoxha, Flora Marchand, Marion Miguel Paredes, Katerina Zekopoulous, Myriam Drif, Wail Kribi, Soidroudine Mroudjaé, Samih Benyamina, Alison Valence, Aline Belibi, Lyna Khoudri, Oulaya Amamra, Mouradi Mchinda, Fanta Touré, Baya Demongeot, Hana Savane, Ilyass Malki, Pierre D’Almeida, Nadia Sdiri, Nassim El Mounnabih, Camille Carlier, Edna El Mouden, Holy Fatma, Julie Darfeuil, Christelle Meaux, Lucile Vallet, Karim Ben Haddou, Lucie Baudinaud, Mounir Marghoum, Samir Benchikh, Maimouna Doucouré, Nassira El Moaddem, Mohamed Hamidi, Nordine Nabili, Mounir Amamra

Membres de l’association 1 000 Visages