La caricature de Kroll ci-dessus, parue dans le Soir, résume à merveille la profonde et inquiétante division du pays : alors que les deux régions francophones, Bruxelles et Wallonie, sont confrontées à une série de grèves sectorielles, successives ou concomitantes, depuis plusieurs mois (routiers, gardiens de prison, transports publics, contrôle aérien, police et bagagistes de l'aéroport de Bruxelles, magistrature), la Région flamande (60 % de la population), elle, n'est touchée que marginalement. Même la « grève générale » des services publics d'aujourd'hui n'a été suivie que très partiellement par les Flamands (par exemple aucun train à Bruxelles et en Wallonie, 50 % du trafic en Flandre).
La grève la plus dure est celle du personnel
pénitentiaire (qui, à la différence de la France, dispose du droit de grève), uniquement
suivie par les Francophones, pourtant confrontés aux mêmes réformes que les
Néerlandophones. Elle a commencé le 25 avril et a des conséquences dramatiques
pour les détenus qui voient leurs droits les plus élémentaires bafoués.
Confinés dans leur cellule surpeuplée, ils sont privés de douche, de linge de
rechange, de sortie, de visite, de contact avec la justice, d’une nourriture
décente (trois repas froids livrés en vrac le matin). Au point que le
gouvernement a dû faire appel à l’armée et à la police, qui ne sont pourtant
pas formées à ces tâches, pour assurer un service minimum. Le Royaume, déjà
condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour
l’état déplorable de son système pénitentiaire, risque de connaître une
explosion dans ses prisons : déjà, un détenu est mort à la suite d’une
bagarre qu’aucun gardien n’a pu stopper... Or, rien n’indique un retour prochain
à la normale, un nouveau protocole d’accord ayant été rejeté hier par la base.
Les raisons de la grève : une rationalisation de la gestion du personnel
qui va aboutir à une diminution des primes et du nombre de fonctionnaires.
Sur le rail, la situation s’est brutalement
tendue mercredi dernier, avec la grève « au finish » déclenchée sans préavis
par la base francophone. Le motif du mécontentement est particulièrement
obscur : la direction de la SNCB veut supprimer un jour de récupération
(sur les 13 jours consentis en 1996 en compensation d’une baisse de
rémunération depuis compensée) après 18 jours d’absence pour congé ou maladie…
Les syndicats expliquent qu’il s’agit là de la goutte d’eau qui a fait déborder
le vase, la majorité actuelle ayant programmé des coupes sombres (2 milliards
d’euros) dans le budget de la SNCB. Mais le résultat est là : les trains
roulent au nord, alors qu’il est aussi concerné par la réforme, mais pas au
sud. Ce qui fournit la preuve que la scission du rail entre la Flandre et la
Wallonie est tout à fait possible comme le réclament depuis longtemps les
nationalistes flamands de la N-VA, le premier parti de Flandre, mais aussi de
la majorité fédérale.
Et c’est là que réside le danger du jusqu’au-boutisme
des branches francophones des syndicats, en partie noyautée par le PTB, un
parti communiste stalinien qui fait une percée remarquable dans les sondages en
Wallonie, qui sont pourtant les dernières organisations à ne pas être totalement
scindées entre communautés linguistiques (alors que les partis le sont). Il
donne en effet raison aux libéraux de la N-VA qui soutiennent que la chienlit
est francophone, le sud du pays étant dominé par un PS, accusé d’être corrompu,
clientéliste et allergique à la réforme, et sa courroie de transmission, la
FGTB, majoritaire à Bruxelles et en Wallonie (alors que la CSC, chrétienne-démocrate,
est majoritaire en Flandre). Cet
écueil avait été évité au dernier trimestre 2014, lorsque les syndicats du nord
et du sud avaient su rester unis pour protester contre les réformes lancées par
le gouvernement libéral de Charles Michel.
Cette fois-ci, cela n’est pas le cas et la
N-VA a le plus grand mal à cacher sa satisfaction face à la situation « révolutionnaire »
du sud du pays, selon le mot du député flamand du CD&V, Hendrick Bogaert :
la Belgique est bien constituée de deux pays dont la réalité politique et
sociale se différencie chaque jour davantage. D’un côté, une Flandre libérale,
travailleuse, soucieuse de concertation sociale, de l’autre une communauté
francophone dominée par les socialistes et les communistes staliniens du PTB, figée
dans la défense de ses droits acquis, bref un boulet aux pieds du lion flamand.
Sonnée par les attentats du 22 mars, la Belgique démontre qu’elle a été
incapable d’un sursaut collectif et qu’elle se laisse emporter dans une spirale
mortifère qui pourrait se traduire par une scission du pays.