Il faut lire la dernière livraison du Crieur, où l'on apprend entre autres articles quelles influences théoriques animent les mouvements qui cherchent à refonder notre régime politique, comme Nuit debout. Yves Sintomer, professeur de science politique à l'université Paris-8 et auteur de nombreux ouvrages sur la démocratie, analyse notre situation dans un article intitulé, «L'ère de la postdémocratie ?» Après être passés par le gouvernement représentatif fondé sur le suffrage censitaire, puis universel masculin dans un système organisé autour de partis, nous serions dans une «post-démocratie». Le gouvernement représentatif y est marginalisé, depuis que les agences de notation et les lobbys des grandes firmes ont acquis tant de pouvoir. «Les élections, formellement, demeurent régulières et libres, mais elles se traduisent de moins en moins par des choix véritables», écrit Sintomer.
Les mouvements tels que Nuit debout contribueraient justement à une «nouvelle révolution démocratique», en reprenant le paradigme de la révolution féministe : l'organisation par réseaux multiples et divers. Cette atomicité des acteurs caractérise les mouvements insurrectionnels, comme l'analyse Ugo Palheta, sociologue et maître de conférences à l'université Lille-III dans un article intitulé «L'insurrection qui revient». Bien loin du «Grand Soir», l'idée que mettent en avant des théoriciens comme ceux du Comité invisible autour de Julien Coupat est plutôt de privilégier l'«action directe, le blocage des infrastructures permettant la circulation des marchandises, d'énergie, d'information, de personnes, etc.». On retrouve là la stratégie exposée par un des intellectuels les plus écoutés à la Nuit debout parisienne, Frédéric Lordon, qui affirmait le 20 avril : «Il faut mettre des grains de sable partout.» Voilà peut-être pourquoi il y a plus de manifestants dans les actions de blocage que sur la place de la République.