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Libération
Chronique «Economiques»

Après le divorce, qui va garder les enfants ?

Le couple Europe - Royaume-Uni est proche de la rupture, pourtant des compromis ont été faits pour éviter la séparation…

ParAnne-Laure Delatte
Chargée de recherches au CNRS*
Publié le 20/06/2016 à 17h11

Nos amis anglais sont en pleine crise de la quarantaine. Certes, depuis leur adhésion à l'Union européenne en 1973, ils ont toujours été des partenaires embarrassants ; leur relation avec l'Europe a toujours été compliquée : ils chérissent leur liberté, se plaignent qu'on leur impose trop de contraintes, qu'on restreint leur souveraineté…

Mais après-demain, ça devient sérieux : ils décideront par un drôle de référendum, dit le «Brexit», s’ils continuent cette vie-là, avec ses travers et ses routines de vieux couple, ou s’ils prennent un nouveau chemin, pour retrouver leur liberté adolescente.

Ce vote est l’issue d’une série d’étapes assez typiques dans une crise de couple…

La menace. En 2013, David Cameron lance l'idée de soumettre au peuple l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne. Ni lui ni le reste de l'Europe n'y croit vraiment tant ces deux-là sont liés. La City, d'une part, les exportateurs, d'autre part, refusent de croire un instant qu'on leur retire l'accès au marché européen. On admet que c'est pure tactique : menacer de se quitter pour obtenir plus d'espace, pouvoir négocier de nouvelles conditions.

Les concessions. Au mois de février 2016, Cameron obtient un «statut spécial». Concrètement, le pays est exempté des nouvelles mesures d'intégration adoptées au moment de la crise de l'euro. C'est assez logique : comme les Anglais ont gardé leur propre monnaie, ces mesures ne leur seront pas imposées. La concession européenne est donc symbolique mais elle a son importance. L'Angleterre garde un statut à part.

Les regrets. Au printemps 2016, David Cameron se rend bien compte qu'il a joué avec le feu avec ce référendum. D'abord, l'amour a ses limites… A force d'en vouloir toujours plus, ses partenaires européens se sont progressivement désintéressés. Après tout, se dit-on dans les rangs européens, est-ce qu'on ne serait pas mieux séparés, sans la menace permanente du veto anglais ? En outre, un contexte populiste sévit dans l'ensemble des pays développés, les mouvements anti-élites fustigent Bruxelles et ses institutions. Dans ce climat, aucun partenaire européen ne prend position contre le Brexit. Ce n'est plus le temps des déclarations… au contraire, le climat politique est au bras de fer sans dialogue. Et bien sûr, pire est le contexte anglais avec ses hordes d'eurosceptiques qui n'attendent que cette opportunité pour renverser le cabinet Cameron. Bref, ce qui n'était qu'une tactique s'est transformé en menace concrète. Depuis deux semaines, le non l'emporte dans tous les sondages.

Les dommages collatéraux. Quand il y a des enfants, ce genre de crise de couple peut faire des dégâts. Les enfants n'en sortent pas indemnes si les parents n'arrivent pas à retenir leurs tensions. Au Royaume-Uni, les médias ne sont jamais tendres et les tabloïds ne font pas dans la demi-mesure. Le débat public sur l'Europe n'a fait qu'exacerber des tensions existantes dans la société anglaise. L'assassinat monstrueux de Jo Cox, parlementaire travailliste et fervente opposante au Brexit, est la manifestation lugubre que les politiques ont perdu le contrôle.

La séparation. L'histoire n'est pas encore écrite. Mais le référendum pourrait bien se solder par une sortie du Royaume-Uni de l'UE. Sauf que le divorce est imprononçable car le coût économique trop important : la Grande-Bretagne sortira affaiblie et la zone euro elle-même tremblera. La boîte de Pandore risque de s'ouvrir en provoquant des débats nationaux dans de nombreux Etats membres. Qui le prochain ? L'Italie, l'Espagne ? Il est évident que de nouvelles conditions seront négociées. L'Angleterre s'inspirera peut-être de la Norvège et la Suisse, pays non-membres de l'Union, pour établir une nouvelle relation, sur mesure ; mais elle y perdra, sans nul doute. Dans le passé, en effet, l'Union européenne a tellement avancé vers la Grande-Bretagne qu'il y a finalement peu de zones dans lesquelles elle sera plus à l'aise à l'extérieur. Tout ça pour ça.

La seconde chance. Pourquoi pas ? Quand la séparation est destructrice, cela vaut parfois le coup de reconstruire quelque chose ensemble. Probablement ici s'arrête la métaphore amoureuse. Là où dans un couple, la confiance et le désir sont bien difficiles à retrouver après les crises, en géopolitique, on sait sans doute tourner les pages plus rapidement parce que les gouvernements changent. A chacun d'écrire son histoire.

Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.

*Anne-Laure Delatte Chargée de recherches au CNRS, laboratoire EconomiX, OFCE et professeure invitée à l’université de Princeton