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Libération
Chronique «Politiques»

Le trou de souris de François Hollande

La primaire, proposée par Jean-Christophe Cambadélis, fait figure de «demi-primaire» au sein de la seule gauche de gouvernement. Une stratégie du profil bas par gros temps.
publié le 22 juin 2016 à 17h21

Il y a quelques mois, le lancement par Daniel Cohn-Bendit et par une pléiade de personnalités - dans Libération (1) d'une pétition en faveur d'une primaire à gauche avait suscité une grosse polémique. Les uns y voyaient le seul moyen de rassembler une gauche en miettes et de mobiliser un électorat découragé. Les autres y suspectaient une manœuvre dont l'objectif réel était d'affaiblir, de banaliser et, si possible, de dissuader François Hollande de briguer un second mandat. Les premiers vantaient un exercice de démocratie inauguré par la gauche pour l'élection présidentielle de 2012, les seconds y redoutaient un abaissement de la fonction présidentielle et un exercice impossible pour un chef de l'Etat en place : comment concilier durant des mois la conduite des affaires de l'Etat avec une campagne pour la primaire ? Au cœur de la controverse, c'était de toute évidence, pour les uns et pour les autres, la personne, le bilan et le destin de François Hollande qui étaient en cause. Plus on était proche de lui et plus on craignait la primaire, plus on en était éloigné et plus on la savourait à l'avance.

Aujourd’hui, voilà que sur le même sujet les positions sont largement inversées. Si tout le monde accepte maintenant en théorie l’organisation de la primaire en janvier, les proches de François Hollande sont devenus les plus allants, et les adversaires de François Hollande sont à leur tour les plus méfiants. Il est vrai qu’entre-temps, deux facteurs essentiels ont changé. Jean-Luc Mélenchon a proclamé qu’il était de nouveau candidat à l’élection présidentielle, qu’il ne comptait demander l’autorisation de personne et qu’il refusait de se plier à quelque primaire que ce soit.

De son côté, le Parti communiste, mis devant le fait accompli, n’abandonnait pas tout à fait l’idée d’une primaire à gauche mais excluait formellement qu’elle puisse se faire avec François Hollande. Les écologistes d’Europe Ecologie-les Verts persistaient, eux, dans l’idée de soutenir une candidature spécifique, qu’il s’agisse de Nicolas Hulot, de Cécile Duflot ou d’une tierce personne. La primaire subitement sortie du chapeau par Jean-Christophe Cambadélis n’était donc plus en rien une grande primaire de toute la gauche mais une petite primaire, pour l’essentiel socialiste, avec participation des radicaux de gauche et des écologistes favorables à François Hollande, bref, une primaire au sein de la seule gauche de gouvernement. En somme, «une demi-primaire».

L’autre facteur nouveau concernait la situation de François Hollande. Elle s’est encore dégradée. Les Français donnent, dans les multiples sondages qui paraissent, l’impression d’avoir déjà écarté le Président de la course à l’élection de 2017, d’avoir même tourné la page Hollande. Pour lui, rien ne semble plus réellement imprimer. La situation économique s’améliore, les investissements et la croissance retrouvent des couleurs, la courbe du chômage peut enfin peut-être s’infléchir. C’est la principale préoccupation des Français mais ils ne savent aucun gré au chef de l’Etat de ses premiers bons résultats. La pression migratoire venue du Moyen-Orient affolait les Français l’an passé. Elle touche en réalité à peine l’Hexagone. Le Président n’en est en rien conforté. Face aux nouvelles menaces du terrorisme, il a réagi avec dignité et avec fermeté. En vain, puisque personne ne lui en a de gratitude. Quant à la loi travail, à l’origine ambitieuse et se voulant modernisatrice, elle est toujours majoritairement rejetée, cependant que la responsabilité des manifestations est attribuée davantage au gouvernement qu’à la CGT. Rien ne va plus et jamais depuis 1958 un président n’a semblé en aussi difficile position. D’où le quitte ou double de la primaire ressuscitée.

Ce n’est certes pas le retour fracassant du général de Gaulle de Baden-Baden en 1968 mais c’est un renversement de situation habilement machiné. Contesté et exsangue, François Hollande entend ainsi se faire démocratiquement relégitimer. Il devra, certes, affronter des rivaux mais ses chances de l’emporter au sein de sa propre famille politique sont évidemment plus fortes qu’elles ne peuvent l’être dans n’importe quelle autre hypothèse.

Par ailleurs, le calendrier le sert, Les Républicains auront choisi leur candidat lorsqu’il se déclarera en décembre. Ainsi, sera-t-il confronté non seulement à ses promesses de 2012 mais à celles de la droite pour 2017, ce qui est plus confortable. D’un autre côté, si Nicolas Sarkozy est investi par la primaire de droite, François Bayrou sera candidat contre lui. Cela égaliserait en partie les chances. Tout cela relève bien sûr de la stratégie du trou de souris : faute d’atout, tenter de se glisser dans les interstices créés par les divisions de ses rivaux, puis de ses adversaires. Faute de pouvoir être Richelieu, devenir Mazarin.

(1) Libération du 11 janvier.