La femme parfaite est une connasse, énonçait le titre d’un excellent ouvrage publié en 2013 (suivi d’un volume 2 qui n’a pas été à la hauteur). Les femmes ont gagné le droit d’être imparfaites, comme le sont par tradition les hommes ; les femmes politiques peuvent être corrompues (Dilma Rousseff), antipathiques (Hillary Clinton) et maltraitées dans les slogans (Myriam El Khomri)… et des connasses, oui, juste comme eux ; même si on redouble pour elles de sévérité et qu’on en rajoute, par habitude. Chacune de ces situations a évidemment sa part de sexisme.
Elles peuvent aussi être victimes d’assassinat politique ignoble, comme la députée britannique Jo Cox la semaine dernière. C’est là une forme d’égalité, durement conquise. Mais, si tout va bien, on aura bientôt une première présidente états-unienne au lieu d’une première dame, et peu m’importe si elle est critiquée et mal-aimée. Car tout le monde est d’accord en principe pour une femme présidente, mais, comme par hasard, ce n’est jamais la bonne (oui «mais pas elle»).
On se souvient des mots de Bertrand Delanoë soulignant, il y a deux ans, le caractère historique de la victoire d'Anne Hidalgo à Paris. Lors de son élection dimanche, Virginia Raggi a déclaré aussi : «C'est la première fois qu'une femme occupera la fonction de maire de Rome.» Ce succès, a-t-elle ajouté, on le doit au Mouvement Cinq Etoiles (M5S). A elle et sa compagne de victoire de Turin, Chiara Appendino, trentenaire aussi, il est clair qu'on ne passera rien, tant on insiste désormais dans la presse - ici (Libé compris) et en Italie - sur leur inexpérience : «novices» - oubliant qu'il s'agit de femmes diplômées, engagées, professionnelles.
On les qualifie aussi de «populistes» mais cette accusation immédiate ne suffit plus à déconsidérer M5S. Le mouvement refuse, certes, la ligne de clivage traditionnelle droite - gauche. Mais les adhérents au M5S se recrutent parmi des citoyens et des activistes engagés dans des luttes locales contre l'incapacité et la corruption des gouvernants, l'absence d'avenir pour les jeunes, l'impuissance publique ou la mainmise du pouvoir de la finance sur les affaires concernant le bien commun. On retrouve les thèmes de Nuit debout, sur lesquels nos politiques et intellectuels ricanent (sans encore les qualifier de «populistes»).
Parmi les propositions affichées par M5S : la limitation du nombre de mandats et l’interdiction du cumul, l’inéligibilité des citoyens condamnés, le développement des renouvelables, le développement du planning familial, le mariage homosexuel. Rien de conservateur mais rien qui ressemble à un classique programme politique «de gauche» : plutôt celui de l’aspiration démocratique ordinaire, d’une forme de vie politique où on prend au moins en compte la réalité des ressources politiques, en particulier les femmes.
Lors des élections législatives italiennes de 2014, ce qui se présentait comme un «non-parti», sans projet, sans leader (j'oublie l'humoriste Beppe Grillo), avait obtenu des résultats étonnants et 8,5 millions d'électeurs avaient choisi d'envoyer 162 citoyens ordinaires, «novices», siéger à la Chambre et au Sénat. Déjà les experts en politique s'accordaient à qualifier le vote M5S de victoire du «populisme» et de danger pour la démocratie.
Peut-être la victoire, évidemment provisoire et fragile, de ces deux femmes du M5S nous appelle à un changement dans nos formes de vie politique - et, en tout cas, dans nos manières de penser et de dire ces phénomènes. Ce n’est pas le populisme mais le qualificatif de «populisme» qui est à analyser, devenu l’outil et la signature aujourd’hui de ceux qui refusent l’extension de la démocratie.
Les élus de M5S sont jeunes, disposant d’une expertise (universitaires, avocats, urbanistes, infirmières, médecins, travailleurs sociaux, étudiants, activistes…) et ils connaissent leurs dossiers. C’est un étudiant, Luigi Di Maio, qui est vice-président de la Chambre. Comparez à la France et à son personnel politique issu des grandes écoles, où les cabinets ministériels sont étanches au monde universitaire et où les docteurs sont l’exception. Comparez au paysage de nos primaires.
Taxer de populisme ce qui se passe en Italie avec les élues du M5S, c'est mettre sur le même plan, ou sous le même chapeau, la volonté commune de perfectionnement et de démocratisation de la politique, d'ouverture à de nouvelles générations et de personnels, et par exemple, le fascisme raciste et sexiste de Donald Trump ou la xénophobie haineuse des partisans du Brexit - dont a été victime Jo Cox, qui représentait aussi cette démocratisation. Ce genre d'amalgame que permet l'usage de termes indifférenciants, comme les déclarations récentes de membres du gouvernement français assimilant des manifestants à des terroristes, fait partie de ces «éléments de langage» dont il nous faut constamment faire l'analyse et la critique et si l'on veut défendre la démocratie réelle et avec elle, la société. C'est bien d'une nouvelle grammaire de la démocratie que nous avons besoin, d'urgence, pour penser le «populisme» (1).
[ (1) Voir le dossier «Populismes» dans 61. Multitudes 61. Hiver 2015. ]