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Libération
TRIBUNE

Après Orlando, les armes toujours

Alors que les tueurs de masse profitent de moyens légaux pour commettre leurs crimes, le contrôle des armes n’est toujours pas voté. Un projet durcissant les conditions de vente vient d’être rejeté lundi 20 juin par le Sénat, à majorité républicaine. Provoquant un sit-in des élus démocrates.
par Jonathan Metzl, Sociologue et psychiatre*
publié le 23 juin 2016 à 19h51

Aux Etats-Unis, nous voilà une fois de plus traumatisés par le spectre du meurtre de masse. Le 12 juin, Omar Mateen, armé d’un fusil d’assaut et d’une arme de poing semi-automatiques tire dans la foule d’une boîte de nuit homosexuelle : 49 morts et 53 blessés avant que le meurtrier soit abattu par la police. L’attaque d’Orlando est le meurtre de masse le plus terrible de même que l’agression la plus violente à l’encontre de la communauté LGBT jamais commise dans le pays.

La nation est en deuil. A travers les Etats-Unis, ces massacres sont de plus en plus fréquents et de plus en plus meurtriers. Ils sont d’autant plus choquants qu’ils détruisent notre illusion de sécurité dans des lieux où la menace de violence devrait être la dernière des préoccupations dans la tête des gens : une salle de cinéma dans le Colorado, une école dans le Connecticut ou une boîte de nuit à Orlando. Ces lieux sont naturellement vécus comme des espaces de sécurité où les gens viennent s’amuser, s’instruire ou être eux-mêmes en toute simplicité. Qu’un certain nombre d’entre eux, ces dernières années, soit devenu des sites de carnages, n’a pas manqué d’alimenter un sentiment de peur et d’insécurité dans la population. Mais notre deuil est aussi, malheureusement, politique. Au fur et à mesure qu’augmente le nombre de ces massacres absurdes, le récit que nous en faisons devient de plus en plus clivant.

Pour des hommes politiques de droite, comme Donald Trump, la tuerie d'Orlando est interprétée comme le résultat d'une menace extérieure au mode de vie américain. Donald Trump dénonce une crise existentielle nourrie par ce qu'il appelle de façon problématique et provocante «l'islam radical». Posture qui place la responsabilité du crime sur une menace extérieure et une religion tout entière. Par conséquent, il appelle à interdire l'entrée du pays à tous les musulmans. Absurdité manifeste, d'autant qu'Omar Mateen est natif de New York. Cette forme de bouc- émissairisation est devenue monnaie courante à la suite de l'augmentation des tueries de masse. Après les massacres du Colorado et du Connecticut, des politiciens conservateurs se sont empressés de condamner les «malades mentaux», allant jusqu'à réclamer la mise en place de «bases de données» nationales pour les surveiller, négligeant toute autre forme d'explications pour ce type de crimes.

Bien entendu, ces arguments vont de pair avec une rhétorique alarmiste amplifiée par la NRA (National Rifle Association), le puissant lobby pro-armes qui trouve là un moyen d'alimenter l'angoisse de l'insécurité et d'augmenter les ventes d'armes chez les particuliers. Au lendemain du massacre d'Orlando, un porte-parole de la NRA a réussi, dans une même déclaration, à condamner les crimes par armes à feu commis par «les malades mentaux et les terroristes» tout en affirmant qu'il fallait encore plus d'armes pour «protéger le droit des Américains respectueux des lois» à se défendre eux-mêmes. Un certain nombre de données confirme que ces stratégies alarmistes sont puissamment efficaces : au lendemain des massacres de masse, les ventes d'armes à feu explosent.

Bien entendu, des actes violents ont été commis au nom de l’islam. Beaucoup de New-Yorkais et de Parisiens en savent douloureusement quelque chose. Mais à la différence des attaques de Paris en novembre 2015, ou du 11 Septembre à New York qui ont été organisées et mises en œuvre par des organisations terroristes - les meurtres de masse américains y compris de toute évidence la tuerie d’Orlando - sont largement le fait d’actions individuelles. Loin de fonctionner en dehors de la loi, la plupart de ces tueurs ont planifié et ont commis leur crime au travers de moyens légaux. Ceci pour une large part parce que, aux Etats-Unis, ces quinze dernières années, il est devenu de plus en plus facile d’acheter des armes, des armes semi-automatiques et des munitions. En réalité, la grande majorité des armes utilisées au cours des 15 derniers massacres de masse, y compris les deux revolvers de la tuerie d’Orlando, ont été acquises légalement. Cette facilité d’accès est la raison pour laquelle les Etats-Unis sont de loin le pays dont les particuliers détiennent le plus grand nombre d’armes à feu.

Les enjeux de cette bipolarité : lire Orlando comme une menace extérieure, ou comme le reflet de notre politique nationale, est d’autant plus crucial qu’il ne détermine pas seulement deux façons distinctes de traiter le trauma, mais bien deux façons distinctes d’aller de l’avant. Est-ce que, comme le suggèrent les républicains et la NRA, on fait son deuil en construisant des murs et en armant de plus en plus de gens dans nos tours d’ivoire complètement illusoires ou est-ce qu’on regarde à l’intérieur de nous-mêmes et, avec force bon sens, on place au centre la question des armes et de la violence par armes à feu aux Etats-Unis ? En d’autres termes, est-ce que l’ennemi est à nos portes ou est-ce qu’il est, en partie, «nous-mêmes» ?

Dans les mois qui viennent la façon dont les électeurs américains poseront ces questions à leurs représentants donnera forme au récit que nous ferons du terrible massacre d’Orlando. Et, aux élections de novembre, la réponse à ces questions déterminera dans quelle sorte de pays nous souhaitons vivre.

*Jonathan Metzl Sociologue et psychiatre. Directeur du Centre médecine santé et société à l'université Vanderbilt (Tennessee). Traduit par Florence Illouz.