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Libération
Chronique

Interview croisée d’Ali et Ibrahimovic

publié le 1er juillet 2016 à 17h11

La scène se passe à l’hôtel Regina, Paris.

Zlatan : Ali, je suis trop fier de te rencontrer. Parce qu'on est les meilleurs, toi et moi. On est les plus grands. I am the greatest, you are the greatest, on est les greatest.

Mohamed Ali : Ah ! Mais moi je n’aime pas le football. Juste la boxe.

Zlatan : Moi, j’aime le football et la boxe ! C’est les deux plus grandes choses que je préfère, le football et la boxe.

Mohamed Ali : Non, le football, non. Ce n’est rien. Il n’y a pas de commune mesure.

Zlatan : De quoi ?

Mohamed Ali : Pas de comparaison possible. Je suis un homme…

Zlatan : Moi aussi, je suis un homme ! Un vrai, mec !

Mohamed Ali : …seul, un homme seul. Ne me coupe pas la parole, je suis…

Zlatan : Tu es Mohamed Ali !

Mohamed Ali : …nom de Dieu, arrête de m’interrompre ! Je suis un homme seul, j’ai combattu tout seul. Toi, tu ne joues pas tout seul, il y a 21 autres joueurs sur le terrain.

Zlatan : 21 ? 11, tu veux dire. Le foot se joue à 11, putain, tu n’y connais rien !

Mohamed Ali : Tu sais compter ? Dans ton sport, il y a 11 joueurs contre toi, et tes 10 coéquipiers, ça fait 21, non ?

Zlatan : Ah, mais moi, je ne compte que sur moi.

Mohamed Ali : C’est ce que je voulais dire. Tu dépends des autres au football. C’est pour ça que tu n’es pas le plus grand, parce que tu es seul au milieu des autres.

Zlatan : Pas le plus grand ? Ce n’est pas très cool de ta part, Ali.

Mohamed Ali : Ecoute-moi. Si tu étais le plus grand, comme tu le prétends (moi, je ne le prétends pas), tu aurais qualifié ton équipe nationale, la Suède. Or vous vous êtes fait jeter au premier tour de l’Euro, comme des nains.

Zlatan : Mais c’est de leur faute ! Ces fils de pute ne m’ont donné aucun ballon !

Mohamed Ali : Tu vois comme tu es seul. Non seulement tu n’as pas pu influer sur le cours du jeu, non seulement tu n’as pas su être meneur d’hommes, et en plus tu insultes tes partenaires. Tu es bien plus seul que moi. Moi je suis seul avec moi-même. Ce sont deux solitudes totalement différentes, tu comprends ?

Zlatan : Mmm… oui. Mais au PSG, je suis le plus grand.

Mohamed Ali : Je te parle de la Suède, pas du passé. Si tu étais le plus grand, puisque tu ne cesses de t’en vanter, tu aurais gagné et assuré le spectacle. J’ai regardé Italie-Suède, je ne me suis jamais autant ennuyé de ma vie. Le foot m’emmerde. Moi, j’aime le show. Tous mes matchs ont été grands. La Suède ! Tu sais qui est la plus grande Suédoise du monde ?

Zlatan : Moi.

Mohamed Ali : Une femme, idiot. Ingrid Bergman.

Zlatan : Connais pas. Je ne me sens pas suédois. J’aurais préféré être américain comme toi.

Mohamed Ali : Mais moi j’ai haï l’Amérique comme tu ne haïras jamais la Suède. C’est pour ça que je suis devenu le plus grand, parce que je me suis battu contre l’Amérique, j’ai mis K-O l’Amérique qui me détestait.

Zlatan : Mais l’Amérique, c’est le top !

Mohamed Ali : L’Amérique ? Laquelle ? Celle des Blancs ? De Donald Trump ? Des pauvres ? Des Noirs ? J’ai combattu pour les Noirs, je suis devenu une légende pour eux. Toi, tu as joué perso. Tu es devenu une vedette mais on t’oubliera… sauf le fric.

Zlatan : Le foot, c’est juste le foot, et la boxe c’est juste la boxe.

Mohamed Ali : Tu n’as rien compris, mec. Il y a quelque chose de plus grand que la boxe…

Zlatan : Dieu.

Mohamed Ali : Dieu est hors-concours. Non, il y a les raisons pour lesquelles tu boxes. La boxe ne suffit pas. Tu sais qu’avant d’être pauvre, j’étais noir ? Une fois que je suis devenu le plus grand, je suis devenu blanc et j’ai arrêté la boxe.

Zlatan : Je croyais que c’était parce que tu avais perdu contre Holmes.

Mohamed Ali : Ça, c’est la raison anecdotique, sportive. J’ai perdu parce que je devenais blanc. Un Américain moyen. Toi, quelle est ta cause ?

Zlatan : Euh, le racisme…

Mohamed Ali : Tu me dégoûtes, on dirait Cantona. C’est une cause extérieure à toi-même. Tu crois que les Noirs sont extérieurs à mes poings ?

Zlatan : Je… je crois que… tu as raison, Ali.

Mohamed Ali : Tu es encore loin du but. Je vais te faire un cadeau, je vais te dire qui m’a compris.

Zlatan : Qui ?

Mohamed Ali : Des écrivains. Maintenant que tu n'as plus rien à faire, il faudra que tu apprennes à lire. Il y a une femme, elle s'appelle Pascale Bouhénic, elle a écrit un grand livre sur les femmes et la boxe, Boxing Parade. Et lis aussi Frédéric Roux,Alias Ali, un chef-d'œuvre, tu comprendras mieux tout ce que j'ai essayé de te dire.

Zlatan : Ok, mais j’aime pas lire

Mohamed Ali : Alors, arrête de donner des entretiens au Monde !

Cette chronique est assurée en alternance par Christine Angot, Thomas Clerc et Camille Laurens.