The Guardian m’a commandé, jeudi, un article sur Boris Johnson, le nouveau chef de la diplomatie britannique, que j’ai bien connu entre 1992 et 1994, lorsqu’il était correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles. L’article, en anglais, est ici, et a été publié vendredi. Sur le site du journal, 14.000 partages, 2300 commentaires... Voici sa version française.
La nomination de Boris Johnson au poste de
ministre des Affaires étrangères est sans aucun doute de l’humour anglais,
l’ancien maire de Londres étant à la diplomatie ce que Staline est à la
démocratie. Ce n’est pas tous les jours qu’un pays désigne pour le représenter
sur la scène internationale un menteur assumé, un personnage que l’exagération
grossière, l’insulte et le sous-entendu raciste n’effraient pas, un homme sans
conviction profonde si ce n’est celle de sa propre importance. « Cela ne
m’étonnerait pas si la Grande-Bretagne nommait Dracula au ministère de la
santé », s’est esclaffé l’Allemand Rolf Mützenich, chargé des questions
diplomatiques au SPD. Mais cet humour « so british » a un prix, celui
de la parole britannique dont la valeur vient de connaître une dévaluation
encore plus brutale que celle de la livre sterling. La réaction du ministre des
affaires étrangères français, Jean-Marc Ayrault, résume bien l’état d’esprit
des partenaires de Londres : « vous savez quel est son style, sa méthode »,
lui qui a « beaucoup menti », a-t-il déclaré. Et d’ajouter qu’il
espère un partenaire « clair, crédible et fiable », ce qu’à
l’évidence Johnson n’est pas. Ambiance.
Car, à l’étranger, la réputation de menteur de
l’ancien maire de Londres ne date pas de la campagne référendaire. Personne n’a
oublié ses activités de journaliste à Bruxelles où il a officié
comme correspondant du Daily Telegraph entre 1989 et 1994. Loin du mythe très
français du journalisme à l’anglo-saxonne fait d’éthique et de rigueur, Johnson
était l’incarnation de la presse de caniveau où « jamais les faits ne
doivent arrêter une bonne histoire », comme il le disait à ses confrères étranger
en riant. J’ai pu observer ses méthodes, lorsque j’ai été nommé à Bruxelles en
1992. Un jour, il avait affirmé dans son journal que le porte-parole de Jacques
Delors, le Français Bruno Dethomas, était tellement bien payé, comme tous ces
eurocrates forcément incompétents, qu’il habitait un château dans la périphérie
bruxelloise. Celui-ci avait démenti avec véhémence lors d’un point de presse,
sous l’œil hilare de Johnson. L’histoire n’était pas totalement fausse, si l’on
peut dire : Dethomas habitait une grosse maison bourgeoise du XIXe siècle dotée
d’une petite tourelle extérieure dans laquelle était logée un escalier, l’une
de ces folies architecturales alors en vogue : « ben, tu vois, c’est
quand même un château », s’était marré Boris Johnson lorsque je lui avais
fait remarquer que son papier était tout simplement faux… Boris n’était pas
dupe de ce qu’il écrivait : il assumait ses mensonges en riant, d’autant
que son journal, farouchement europhobe, en raffolait et en redemandait. Sur le
fond, en dépit de nos conversations, je n’ai jamais su ce que ce fils
d’eurocrate pensait réellement du projet européen : était-il aussi
europhobe que le laissaient penser ses papiers, était-il un simple opportuniste
qui cherchait juste à se vendre, réglait-il des comptes avec son père, un
fonctionnaire européen brillant et estimé ?
Le journalisme n’y trouvait certes pas son
compte, mais qu’importe ! Johnson a réussi à inventer un genre
journalistique, les « Euromyths », ces histoires reposant sur un
élément de vérité, mais grossies au-delà de toute réalité et au final totalement
fausses. Il avait compris qu’une partie de ses concitoyens avaient un goût
prononcé pour le complotisme et qu’il leur fournissait un bouc émissaire bien incapable
de se défendre : l’Union, à la différence des États, n’est représentée par
aucune autorité politique incontestable et toute réaction trop virulente de la
Commission est immédiatement qualifiée « d’ingérence » dans les affaires
intérieures du pays. Surtout, les rectifications de « Bruxelles »
étaient jugées peu crédibles (comme on dit en français, « il n’y a pas de
fumée sans feu ») et systématiquement passées sous silence par les médias.
Le pire est que Johnson a fait école : toute la presse britannique, à des
degrés divers, a versé dans les Euromyths, alimentant l’europhobie local à
laquelle aucun politique n’a osé résister, ce qui a fini par déboucher sur le
Brexit.
Johnson, devenu politicien, n’a pas changé ses
méthodes : ainsi, après s’être longtemps opposé au Brexit, il a pris la tête de
la campagne du « leave », n’hésitant pas à mentir ou à insulter les
partenaires européens du Royaume-Uni… Et, comme lorsqu’il était journaliste, il
a reconnu sans problème ses mensonges dès le jour de la victoire du Brexit, ce
qui ne l’a pas empêché de se retrouver à la tête de la diplomatie britannique. La
vitrine de la Grande-Bretagne, c’est désormais ce « bouffon », comme
on le qualifie à Bruxelles, à la parole aussi fiable que celle d’un vendeur de voitures d’occasion. Mais,
au moins, Theresa May joue franc-jeu à sa façon : on sait désormais que
les négociations du Brexit seront au couteau et que les coups bas vont
pleuvoir. Charmant.