Menu
Libération
TRIBUNE

«En mettant en avant leur image, on leur offre le statut de guerrier»

Notre société du spectacle joue le jeu des terroristes et incite les plus déséquilibrés à passer à l’acte.
par Par Abdu GNABA Anthropologue
publié le 21 juillet 2016 à 18h01

Pour semer la peur dans nos esprits et créer le chaos social, les terroristes utilisent toutes les armes, et spécialement celles que leur confère le pouvoir médiatique. Assoiffés de reconnaissance et de gloire, ces fils de la société de communication cherchent à imposer leur existence dans chaque foyer via Internet, la télévision et la presse. Ils espèrent ainsi passer de l'anonymat d'un «je» malade à un «nous» puissant et visible à l'échelle de la planète. En mettant en avant l'image du terroriste, en se complaisant dans l'analyse de son histoire au prétexte d'essayer de comprendre la barbarie plus vite que les enquêteurs, notre société du spectacle alimente hélas la volonté de reconnaissance de ces meurtriers et leur offre, post mortem, la transmutation de leur statut de petite racaille en celui de prétendus guerriers. A force de chercher à établir le portrait-robot des terroristes, à force de définir un archétype qui n'existe pas, on ne parvient qu'à donner libre cours à un fantasme. Or, le seul point commun à tous les terroristes, ce n'est ni la djellaba ni la barbe, mais bien un sentiment de frustration individuelle qui trouve son apaisement dans l'intégration plus ou moins rapide à un peuple imaginaire qui aurait fondé un Etat. «Pourquoi l'EI n'aurait-il pas droit à un territoire ?» se demandait le meurtrier de la promenade des Anglais. Ce besoin d'appartenance à un groupe est tel qu'il lui a suffi, pour passer à l'action, de s'imaginer un rôle au sein d'une communauté idéalisée promettant visibilité et postérité. En réalité, ce faux soldat n'est qu'un pion d'une guerre, un simple produit dont il a fallu à l'Entreprise de la Terreur quelques jours pour le labelliser, une fois menée l'étude marketing visant à vérifier sa conformité aux prérequis de la marque. Publier la photo d'un terroriste, en première page d'un journal de surcroît, c'est non seulement éclairer de manière indécente quelqu'un qui n'aurait jamais dû sortir des ténèbres, mais c'est surtout inciter tous les déséquilibrés en mal d'appartenance et de notoriété à basculer dans la folie sanguinaire.