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Pourquoi Hillary Clinton n’est pas (encore) un exemple à suivre ?

Pour devenir une inspiration, il manque encore à la candidate américaine une petite touche d'authenticité, histoire de fendiller l'armure de perfection qu'elle ne cesse d'arborer.

Hillary Clinton, à Philadelphie, le 28 juillet. (Photo Andrew Harnik. Reuters)
Par
Isabelle Barth
professeure et chercheuse en management à l'université de Strasbourg
Publié le 12/08/2016 à 13h09

Ça y est ! A 69 ans, après quarante années de vie politique au plus haut niveau, Hillary Clinton vient de faire son coming out! Elle est une femme! Elle n’est plus seulement un excellent secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, une sénatrice reconnue, une politique hors pair, le double d’un président pendant deux mandats… Elle est une femme, et elle le revendique haut et fort: une mère, une grand-mère, une épouse, une femme sous toutes ses facettes! Elle accepte, après des années de déni ou de refus, d’affirmer l’ADN féminin de son succès. Une réussite de femme avant tout!

Le cheminement a été long et en quelque sorte, extrêmement banal. En effet, quand on écoute ou lorsqu'on lit des récits de vie de femmes qui ont réussi à briser le plafond de verre et sont entrées dans le monde des hommes blancs de plus de 50 ans, on constate qu'elles ont été longtemps «gender blind», «aveugles au genre».

Le rejet de l’identité professionnelle féminine

Comme Hillary C., ces femmes inspirantes ont longtemps rejeté, de façon plus ou moins consciente, leur identité professionnelle féminine. Quelles sont les étapes classiques (dans nos pays dits démocratiques et avancés bien sûr) ? La petite fille, sauf exception, ne se sent pas discriminée pendant sa scolarité, tout au plus, certaines femmes relatent des différences de traitement entre elle et leurs frères au sein de la cellule familiale, mais globalement, l’écolière, la collégienne, la lycéenne, l’étudiante ne ressent aucune discrimination due à son sexe, comme j’ai pu le constater lors de mes études sur les étudiantes d’école de management.

L’entrée dans la vie professionnelle se construit autour de liens hiérarchiques qui peuvent camoufler une condescendance masculine. Tout au plus, sont identifiés des petites plaisanteries, des remarques, des gestes vite rangés au rang des irritants, ou même pris pour des opérations de séduction qui peuvent paraître flatteuses. Puis, les années passant, les promotions aidant, la femme «qui réussit» témoigne que ses yeux s’ouvrent et que beaucoup de situations sont alors lues au filtre du sexe des personnes.

Elle ne voit alors que les majorités masculines, remarque l'absence de femmes dans les réunions politiques, les avis d'experts, les lieux de parole… Et en creusant un peu, la femme qui a réussi trouve les différentiels de salaire, les refus de promotion… Ces femmes vivent alors une double prise de conscience: celle d'évoluer dans un monde masculin, et celle d'avoir dû courir une véritable course d'obstacles pour arriver où elles en sont. C'est à ce moment, sous la pression positive de l'entourage, sous les regards admiratifs, devant les remerciements, que la femme fait son coming out et pointe alors tout ce qui est spécifique à la réussite féminine.

Le concept de «role model»

La dernière étape est de devenir un role model. Ce concept a été introduit par Roger Merton, sociologue américain fondateur de la sociologie des sciences, quand il a développé sa théorie sur les comportements mimétiques. Un role model est une personne dont la réussite, le parcours de vie peut inspirer et stimuler d'autres personnes.

Un «role model» peut être un champion sportif, un chanteur connu, un artiste… Ce concept, né dans les années 40 dans une étude menée sur la socialisation des étudiants en médecine de Columbia, a été largement repris dans les années 90 dans les débats sur les discriminations et la difficulté pour certains groupes sociaux à pouvoir accéder à des fonctions de directions ou de pouvoir. Le «role model» est devenu un élément important de programmes visant à encourager les personnes issues de minorités à avoir plus confiance en elles et à franchir le plafond de verre.

Cette notion de «role model» est particulièrement présente dans tous les programmes d’égalité femmes-hommes. Une femme role model incarne le potentiel de réussite de milliers d’autres. Cela implique de se raconter et de mettre le mot «femme» avant d’autres mots phares comme «réussite», «sommet», «référence», «succès»… C’est revendiquer «ce que je suis» et non «ce que je sais faire» ou «ce que je suis capable de faire».

La petite brisure dans l’armure de perfection

Pour être un véritable «role model», il faut aussi être reconnu comme tel par l’ensemble des femmes et des jeunes filles. Or, à cette étape, il manque à Hillary Clinton quelque chose d’essentiel pour être un rôle modèle: une petite brisure dans son armure de perfection. La petite fêlure qui fera que c’est crédible de faire comme elle et non pas de la considérer comme une statue inatteignable sur son piédestal. Il lui manque une touche d’authenticité qui ferait dire aux autres femmes: «C’est possible!».

Or, Hillary s’obstine à être «plus que parfaite» : elle est parfaite, sa fille est parfaite, son obstination est sans faille, son expertise est impeccable tout comme son expression et sa coiffure. Même l’épisode Monica l’éloigne des nombreuses femmes qui ne se reconnaissent pas dans la façon dont elle a géré l’infidélité de son époux. Seuls ses essais capillaires improbables, son léger embonpoint qui semble n’avoir jamais été maîtrisé, lui apportent une crédibilité.

Pour le reste, la barre est trop haute à franchir pour des millions de femmes. Hillary C. reste une figure impeccable, plus proche de la reine d'Angleterre que d'Obama et sa coolitude. S'il y a eu des doutes, de la souffrance, ils ont été cadenassés et vaincus: «Never explain, never complain». Il va lui falloir fendre l'armure pour faire croire à toutes les petites filles qu'il leur sera possible, quand elles seront grandes, de devenir présidente du pays le plus puissant de la planète. Encore un petit effort, Hillary!