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Passage en revues

Rousseau électeur de Trump et la vérité est dans le clic : deux longs formats à lire ce weekend

Chaque semaine, la rédaction du magazine «Books», décortique les longs formats des revues et sites anglo-saxons. Morceaux choisis aujourd’hui par Pierre de Boissieu.
La statue de Jean-Jacques Rousseau à Genève. (Photo Fabrice Coffrini. AFP)
publié le 20 août 2016 à 14h45

Chaque semaine, la rédaction du magazine «Books», décortique les longs formats des revues et sites anglo-saxons. Morceaux choisis.

Rousseau aurait-il voté Donald Trump ?

Par bien des aspects, Rousseau plairait à Donald Trump. Jean-Jacques était un baroudeur qui n'avait pas fait d'études supérieures – on se souvient de la déclaration de Trump lors de sa victoire à la primaire dans le Nevada : «J'adore ceux qui n'ont pas fait d'études» –, un provincial plein de bon sens pourfendeur des élites des salons parisiens et du cosmopolitisme. Certaines citations de Rousseau pourraient être reprises dans ses discours : «Tout patriote est dur aux étrangers», «toute l'éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles […] : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps». Plus fondamentalement, Rousseau a partagé l'expérience des électeurs de Trump : se sentir exclu – contrairement à Voltaire, un libéral attaché aux possibilités qu'offrait le marché à la liberté individuelle (il s'est enrichi en spéculant à Londres). Voltaire voyait dans les arts, le commerce et la poursuite des intérêts individuels un antidote à la tyrannie et à l'obscurantisme : «Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours, vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l'utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l'un avec l'autre comme s'ils étaient de la même religion», écrivait-il. Pour Rousseau et Trump, au contraire, le libéralisme issu des Lumières – la foi dans les arts et les sciences, le libre-échange, la démocratie parlementaire n'ont fait qu'asservir les hommes.

Auteur : Pankaj Mishra est un écrivain et essayiste indien de premier plan. Vivant entre l'Angleterre et l'Inde, il collabore régulièrement à de nombreuses revues littéraires. Son premier roman, The Romantics, a été salué par le prix Art Seidenbaum du Los Angeles Times. Son dernier ouvrage, Désirs d'Occident. La modernité en Inde, au Pakistan, au Tibet et au-delà, est paru en français en 2007 (Buchet-Chastel).

Quelle importance si une histoire est vraie ou fausse ?

C'est la question que s'est posée la rédactrice en chef du Guardian, Katharine Viner, au début de l'été dans une longue analyse intitulée «Comment la technologie a bouleversé la vérité». «De plus en plus, ce que nous considérons comme des faits est simplement une opinion dont on a le sentiment que c'est la vérité», écrit-elle. En effet, comme l'a expliqué Arron Banks, principal donateur du parti britannique eurosceptique Ukip et de la campagne pour la sortie de l'Union européenne : «Les faits, ça ne fonctionne pas.» Même pour ceux qui sont attachés aux faits, discerner le vrai du faux devient de plus en plus difficile dans un contexte où les réseaux sociaux, principale source d'information aujourd'hui, constituent des «bulles de filtre», selon le militant internet Eli Pariser (on peut lire l'article de Books sur le sujet, «L'effet cocooning d'Internet», paru en avril 2012). Elles sont le résultat d'algorithmes ayant pour but de créer un fil d'actualité censé nous plaire, épuré de toute contradiction. Contrairement au projet initial d'Internet d'une information démocratique et décentralisée, nous assistons plutôt à une concentration des pouvoirs entre les mains d'une oligarchie de réseaux sociaux qui imposent leur modèle éditorial aux médias traditionnels. Comme le remarque le blogueur Neetzan Zimmerman, spécialiste des buzz sur Internet : «De nos jours, cela n'a pas d'importance si une histoire est vraie ou fausse. […] La seule chose qui est vraiment importante, c'est si les gens cliquent dessus.»

Auteur : Katharine Viner a rejoint le Guardian en 1997 et en est la rédactrice en chef depuis le 1er juin 2015. Elle a également écrit une pièce de théâtre avec le comédien Alan Rickman, My Name Is Rachel Corrie (2008) sur une militante propalestinienne tuée par un bulldozer dans la bande de Gaza en 2003 (adaptée en français sous le titre Je m'appelle Rachel Corrie).