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Libération
TRIBUNE

Une offensive à gauche est possible

Il faut s’ouvrir à la société civile, au peuple de gauche déçu par le quinquennat de François Hollande pour imaginer une véritable alternance.
publié le 24 août 2016 à 17h21

La France, pays meurtri, a besoin d’un projet optimiste. Notre peuple, malgré ses fractures et ses blessures, ne fait pas le deuil de l’espoir et du progrès. La France qui parle encore au monde, déploie ses idées et ses talents, ne cédera au repli que si, et seulement si, aucune vision claire de son avenir ne s’impose. J’ai la conviction qu’une alternance offensive et crédible est possible à gauche, tournant la page du quinquennat «défensif» de François Hollande.

Oui, 2012 demeurera pour beaucoup de Français une alternance fictive. L’alternance a pour but de briser les fatalités qu’une majorité épuisée considère comme des contraintes intangibles. La promesse du changement y répondait le temps de l’élection présidentielle. Or, les Français ne se sentent ni mieux protégés contre les chocs économiques, ni plus égaux qu’en 2012, ni plus libres, ni plus fraternels. Et il devient mortifère, à droite ou à gauche, de vouloir faire du terrorisme l’enjeu unique de l’élection présidentielle, renonçant ainsi à proposer des solutions pour les transformations du pays. Le récit très fataliste d’un pouvoir désormais en panne d’imagination, derrière des accents guerriers, n’embraie plus. Aussi, la défaite du Parti socialiste sonne pour beaucoup comme définitive en 2017, avec le retour de la droite, ou pire, la marche sur l’Elysée du Front national. Ces risques de catastrophe politique annoncée ne suffisent plus à ressouder un électorat profondément déçu et une base sociale en grande colère.

J’invite à tourner cette page. Oser le faire, c’est en finir avec la pensée unique et pesante de la «gauche au pouvoir» : il n’y a pas d’autre politique économique, pas de modernité à construire hors de l’influence néolibérale, et le front principal s’est déplacé de l’économie et de la société vers l’identité et la sécurité. Quatre défaites électorales majeures, sans précédent depuis la création du PS en 1971, n’ont pas entamé ces certitudes paresseuses.

En 2017, le pays décide de son avenir. Là se jouera aussi le futur de la gauche française. La dislocation la menace, comme elle guette la droite, aimantée par les thèmes de l’extrême droite et gavée de programmes ultralibéraux. Avant comme après l’élection présidentielle, la gauche est confrontée ici à des choix historiques, comme ailleurs en Europe. Les divergences au sein des gauches de gouvernement sont partout, comme en Grande-Bretagne, où Jeremy Corbyn a pris la tête d’un Parti travailliste englué dans le conformisme de l’après-blairisme, ou en Grèce qu’Aléxis Tsípras dirige sans s’attendrir sur les décombres du Pasok.

Le séisme de 2008 avait confirmé à la gauche qu’il fallait engager sans tabou la critique des excès du capitalisme, et inventer des régulations volontaristes face au monde financier, à la croissance des inégalités et à la précarité sur le marché du travail. Stiglitz le dit justement : les laissés-pour-compte de la mondialisation, les victimes du déclassement et des injustices ne pardonneront pas de sitôt à ceux qui les abandonnent. La victoire de 2012 s’est muée en gâchis historique : elle n’a pas répondu aux attentes populaires, ni activé une croissance soutenable. Loi bancaire, réforme fiscale, avenir du travail : à chaque étape, nos propositions se sont heurtées aux conformismes, aux lobbys et aux dogmes. Depuis plus de deux ans, nous avons décidé de chercher une voie différente, pour réinventer une gauche de transformation, et gouverner démocratiquement.

Le crédit de la parole publique, mis à mal depuis des décennies, est à reconstruire. Le fantasme monarchique français a définitivement vécu. Les trois quinquennats, chacun à leur façon, ont dévoilé les ressorts cassés et les recettes éculées d’un système à bout de souffle. N’attendons pas de lui la capacité à rassembler le peuple français pour des réformes, des efforts collectifs ou face à l’offensive terroriste. La loi travail a illustré cette grave défaillance, dans le dialogue social comme au Parlement. La confiance renaîtra si une refondation démocratique par référendum constitutionnel devient le premier acte du futur mandat présidentiel, en commençant par supprimer l’article 49.3. Quand un peuple doute de ses institutions, qu’une oligarchie s’applique à les confisquer, il ne suffit pas d’accélérer la décision publique, ou de simplifier les lois et les règlements. C’est bien sûr nécessaire. Mais la légitimité fait terriblement défaut. La participation citoyenne, la mobilisation de la société tout entière, la «démocratie en continu» dont rêvait Mendès France, mais aussi le pouvoir parlementaire et la fonction des syndicats sont à construire ou à recréer. L’alternance à gauche doit d’abord être l’entrée dans un nouvel âge démocratique. Avec la démocratie, nous pouvons… Ce cri, je l’entends partout en Europe.

Nous pouvons convaincre de l'audace d'un nouveau modèle de développement durable, capable d'accompagner les entreprises qui jouent le jeu de la France, de réussir une conversion écologique en dix ans, de partager les richesses créées, de réagir aux phénomènes massifs d'appauvrissement, et d'inventer une fiscalité globale et moderne.

Nous pouvons défendre un projet de société pour l'avenir du travail, comme alternative au chômage de masse : refus de la «fin du salariat», règles protectrices du travail indépendant, extension des territoires zéro chômeurs, relance de la réduction du temps de travail, et surtout création de la sécurité sociale professionnelle pour éviter l'horreur de la précarité dans les vies quotidiennes de l'économie numérisée.

Nous pouvons engager un plan République, pour réveiller l'égalité en panne, éviter la séparation de territoires entiers, urbains et ruraux, forger la laïcité d'aujourd'hui sans un imaginaire de guerre civile, et réformer l'Etat, en bas et en haut, par un puissant mouvement d'innovation publique.

Nous pouvons reconquérir des souverainetés. Celle du peuple européen pour les grandes affaires qu'il doit gérer dans une démocratie commune : ses frontières et l'accueil des réfugiés ou des migrants, sa monnaie et les grands investissements, sa défense, le défi climatique. Celle du peuple français, car le marché ne peut pas tout, et la France peut encore beaucoup, quand il s'agit de nos intérêts nationaux, nos biens communs, de l'éducation ou de la santé.

L’alternance à gauche doit donner à ces idées une vocation majoritaire, et réunir ses forces, qui sont nombreuses, vaillantes, mais encore éloignées d’une candidature unique. Par conviction et par responsabilité, j’appelle à cette stratégie du collectif.

Les projets cheminent et convergent déjà dans la gauche associative, culturelle, syndicale et politique. Dans un moment proche, sans succomber à l’illusion présidentialiste, il faudra faire mouvement pour une démarche commune et une grande coalition. A défaut, c’est la gauche tout entière qui fera de la figuration en 2017.