Au soir de la déclaration de candidature de Sarkozy, BFM TV est sur l'événement, colle au plus près de l'événement : devant le restaurant italien du XVIe arrondissement de Paris où Sarkozy a décidé de fêter ça avec son état-major rapproché. L'envoyé spécial est là, devant ce restaurant italien, «un restaurant emblématique, puisque c'est déjà là que Nicolas Sarkozy avait fêté son retour à la politique quand il est devenu président des Républicains». Ce restaurant, apprend le téléspectateur de BFM TV, est donc davantage qu'un restaurant : un but de pèlerinage, un lieu de mémoire, un haut lieu, le Colombey, le Solutré, le Frangy-en-Bresse de Sarkozy. Devant le restaurant emblématique, stationne la voiture noire de l'ex-président (et nouveau candidat). Et derrière cette voiture, que l'on contemple en état semi-hypnotique, vaguement incrédule après cinq semaines sans une seule exposition à l'info continue, derrière cette voiture, donc, une chaise rouge.
Que fait cette chaise rouge derrière la voiture noire ? C’est une chaise du restaurant emblématique en question, manifestement disposée là pour neutraliser la place de stationnement derrière la voiture de Sarkozy, et éviter tout contact avec d’improbables porteurs de jellabahs ou porteuses de burkinis. C’est donc, elle aussi, une chaise emblématique. Mais pourquoi l’envoyé spécial ne nous dit-il rien sur cette chaise ? Pourquoi ne nous détaille-t-il pas sa composition, la forme de ses pieds, le galbe de son dossier ?
Ça ressemble à 2007, mais ce n'est plus 2007. Candidature surprise, programme décomplexé, propositions «iconoclastes», saturation de l'espace médiatique, essoufflement des envoyés spéciaux à suivre le tempo : l'ensemble de ce dispositif singe 2007, mais la convention théâtrale ne fonctionne plus. La meilleure preuve, c'est l'arrivée triomphale du candidat à son QG de campagne, le lendemain. Devant la porte, une petite foule l'acclame : «Nicolas, Nicolas !»
La télé pourrait s'en tenir là. Mais que se passe-t-il ? L'envoyée spéciale de BFM TV s'approche de la brigade d'acclamation, laquelle raconte benoîtement qu'elle a été convoquée par SMS, et lit même le SMS de convocation devant la caméra. Autrement dit, le mini-coup de com est désamorcé par son canal de diffusion privilégié, avant même d'avoir pu produire son effet. L'envoyée spéciale de BFM TV, on la connaît, elle s'appelle Salhia Brakhlia, et c'est une transfuge de feu le Petit Journal de Canal +, où elle safarisait le gros gibier politique, en l'interpellant en direct sur ses ficelles de communication. Et dans l'intervalle, entre 2007 et aujourd'hui, ce spectacle-là, le spectacle du subterfuge de communication désossé en direct devant une caméra par les impertinents du métamedia, est devenu le spectacle canonique, dominant. Il a terrassé le vieux coup de com. Cette victoire du métamédiatique, Hollande lui-même, successeur de Sarkozy, en a d'ailleurs pris acte, dans ses confessions aux journalistes Antonin André et Karim Rissouli : «Vous vous retrouvez avec la fille du Petit journal qui est là et qui vous apostrophe. Vous ne répondez pas une première fois. Vous vous détournez et puis elle revient et vous finissez par lui répondre…»
Continuant comme au bon vieux temps de convoquer par textos ses brigades d'acclamation, Sarkozy, lui, ne s'en est manifestement pas aperçu, qui semble croire que s'appliquent encore les vieilles règles du jeu. Et voici qu'il se présente devant nous à la mode du siècle dernier, avec favoris et bésicles. Où a-t-il vécu, ces dernières années, ce Monte-Cristo ? L'histoire ne se répète pas, elle bégaie. On a beau tendre l'oreille, on n'entend plus battre notre terreur de 2007. La sidération politique est une arme à un seul coup. A peine si on clique sur «les propositions du programme», ce bric-à-brac déjà éventé de suppression de l'ISF (l'impôt de solidarité sur la fortune), de suspension du regroupement familial, d'interdiction du voile à l'université, de fichés S en détention provisoire.
«Et le pire, c'est qu'il peut gagner», titre Libé, soufflant sur les braises de 2007 pour faire reprendre le feu. Mais ça ne prend pas, ça refuse de prendre, même si ça pourrait prendre. Ça fait remake. Et c'est incrédule, et déjà lassé, que l'on reste cramponné à cette chaise rouge ridicule qui, seule, accapare la scène vide.