Cette fois, à droite, les hostilités sont grandes ouvertes. La primaire, une nouveauté de ce côté-là, sera féroce. Elle l’est d’ailleurs déjà. François Fillon, le plus bourgeois des candidats, métamorphosé en artilleur révolté, se déchaîne contre Nicolas Sarkozy. Alain Juppé, lui, choisit de réfuter chaque argument, chaque proposition de l’ex-chef de l’Etat. L’ancien président de la République, cible prioritaire de tous comme dans un hommage involontaire, se jette dans une surenchère incandescente et transforme ses meetings en orages électriques. Bruno Le Maire, principale nouveauté, célèbre chaque jour les obsèques de ses rivaux et jette des pelletées de terre sur leurs présumés tombeaux. A droite, on sait mieux qu’ailleurs se haïr et s’assassiner.
La discorde n’est certes pas le monopole de ce camp-là mais on y fait preuve de férocité. C’est la tradition (Chaban-Giscard, Giscard-Chirac, Chirac-Balladur, Sarkozy-Villepin). C’est de surcroît la mécanique même de la primaire. Celle-ci est toujours, à gauche comme à droite, un moteur à deux temps : diviser et même déchirer d’abord pour mieux rassembler et recomposer ensuite. Pour l’instant, la première phase bat son plein. Chez Les Républicains (LR), elle bat aussi les records pour des raisons spécifiques : le vainqueur de cette primaire-là sera le favori incontestable de l’élection présidentielle. D’une certaine façon, la primaire de la droite produit le principal prétendant d’avril et mai prochains, tant aujourd’hui la société française penche à droite et tant la gauche est éclatée. Jean-Luc Mélenchon en prophète archaïque, Arnaud Montebourg en Narcisse pompeux, Cécile Duflot en vipère inlassable se disputent les entrailles de la gauche de gouvernement comme une meute ayant forcé un cerf. Du coup, face à l’ombre noire de Marine Le Pen, le lauréat de la primaire de LR possédera dès le départ un tour d’avance. La primaire constitue l’épreuve la plus ouverte, plus difficile à franchir sans doute que l’élection présidentielle elle-même. Elle engendre l’espoir et la férocité. Elle oblige les concurrents à redoubler leurs coups.
Elle le fait d’autant plus que, parmi les quatre noms qui émergent pour l’instant, l’hypothèse d’un cinquième paraissant déjà improbable, pour trois d’entre eux il s’agit de l’ultime bataille. Si Alain Juppé, actuel favori, est battu, sa carrière présidentielle s’arrêtera évidemment là. Il a aujourd’hui l’âge de la fonction mais en 2022 il n’aura plus l’âge d’un candidat. Pour Nicolas Sarkozy, le plus guerrier de tous, la revanche est possible en 2017 mais totalement exclue cinq ans plus tard. Tout comme Alain Juppé, il lui faut vaincre ou s’effacer. Quand à François Fillon, il l’a proclamé lui-même : c’est maintenant ou jamais. Battu, il quittera la vie politique assure-t-il. Seul Bruno Le Maire (ou, sur un autre mode, Nathalie Kosciusko-Morizet) peut investir l’avenir en combattant aujourd’hui. La primaire de LR constitue donc à la fois l’obstacle le plus haut et la dernière chance des trois protagonistes ayant déjà conduit l’exécutif. En cela, elle ne peut être que dramatique.
Elle n’en sera pas moins redoutable car, après avoir fracturé la droite, elle la cimentera. Le vainqueur sera légitimé, d’autant plus que la participation électorale sera large, comme elle promet de l’être. Malheur aux mauvais perdants. Les vaincus devront rallier le vainqueur ou s’éclipser sur la pointe des pieds. S’ils poursuivent le combat après avoir perdu la bataille, ils se discréditent. D’ailleurs, le plus probable est que les ralliements se multiplieront. C’est ce que souhaite déjà l’électorat de la droite, même troublé par les querelles de personnes. C’est ce à quoi il aspirera bien plus encore dès la fin de la primaire. Marine Le Pen d’un côté, les figures désunies de la gauche hors les murs de l’autre, constitueront des repoussoirs implacables et même des machines à rassembler la droite. L’irréalisme de la gauche radicale et le cynisme de l’extrême droite pousseront la droite de l’après-primaire à l’unité. En fait, les principales inconnues qui subsisteront à ce moment-là seront l’entrée en lice de François Bayrou, si Nicolas Sarkozy l’emporte, voire de Philippe de Villiers si Alain Juppé est vainqueur. Le maire de Pau demeure l’un des hommes politiques les plus populaires et, sans qu’il soit candidat, les intentions de vote en sa faveur sont flatteuses. Son irruption dans le débat en cas de victoire de Nicolas Sarkozy à la primaire est quasi certaine. Le niveau qu’il pourrait atteindre, l’origine des voix qu’il pourrait rassembler (hollandaises ou sarkoziennes) constitue une inconnue majeure. Quant à l’imprévisible Philippe de Villiers, un mouvement d’humeur de sa part face à un candidat LR européen est imaginable et peut être redoutable. Mais cela, c’est déjà l’après-primaire. Emmanuel Macron, lui, prouve déjà qu’il incarne une alternative inédite aux confins de la gauche.