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Libération
TRIBUNE

Stop au tout-carcéral

Un moyen existe pour en finir avec la surpopulation des prisons : faire de la détention provisoire une exception et non la règle.
par Marie Dosé, Avocate au barreau de Paris
publié le 31 août 2016 à 19h21

Le triste record du nombre de détenus en France a été une nouvelle fois battu cet été avec près de 70 000 personnes incarcérées au 1er juillet. Conséquemment, plus de 1 500 prisonniers dorment à même le sol, et 60 suicides ou morts suspectes ont été dénombrés entre le 1er janvier et le 1er juin 2016, plaçant notre pays dans le peloton de tête européen du taux de suicide en prison : un détenu se donne la mort tous les trois jours, soit sept fois plus que de l'autre côté des «murs de la honte».

Officiellement, nos responsables font mine de s’en soucier. Et, comme chaque année ou presque, est annoncé avec force solennité un plan de lutte contre la surpopulation carcérale qui se contente de prévoir la construction de nouvelles prisons, dont chacun sait qu’elles abriteront sous peu de nouveaux matelas au sol à l’intérieur de nouvelles cellules surpeuplées. Voilà des années, donc, que ce tout-carcéral obstiné court d’échec en échec, et que nul n’envisage jamais d’en sortir.

L'instrument le plus efficace pour lutter contre la surpopulation carcérale existe pourtant, mais il n'est ni respecté ni appliqué. Consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 137 du code de procédure pénale, le principe selon lequel «toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre» est bafoué quotidiennement en France, sans que personne ne s'en émeuve.

Plus de 20 000 prisonniers, dont chacun coûte 100 euros par jour à la société, sont à ce jour en attente d’être jugés, et donc présumés innocents des faits qui leur sont reprochés. Leur nombre a crû de 14 % en un an, et le seuil des 20 000 détenus n’avait pas été atteint depuis plus d’une décennie. En Pologne, en Islande, ou en Bulgarie, ils représentent moins de 9% de l’ensemble des prisonniers contre 30 % en France.

Plongée dans l'incertitude, cette population carcérale est de loin la plus fragile : le taux de mortalité par suicide des détenus ou prévenus est deux à trois fois plus élevé que celui des condamnés définitifs. A la violence du choc carcéral se mêle l'impossibilité pour les détenus ou prévenus d'accéder à de nombreuses activités, ou d'entreprendre un projet d'insertion avec les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. Les présumés innocents ont donc, de facto, moins de droits en prison que les condamnés, l'administration pénitentiaire n'ayant pas les moyens d'investir dans les modalités d'application d'une détention qui pourrait prendre fin du jour au lendemain.

Le refus délibéré de respecter et de faire respecter le principe selon lequel, avant tout jugement, la détention provisoire doit rester l'exception et la liberté la règle, démontre que la prison est toujours considérée comme le moyen de pression privilégié. Ainsi, les décisions de placement et de prolongation de détention provisoire, standardisées, formatées à souhait, invoquent-elles abusivement les critères légaux pour tenter de justifier l'injustifiable. Du «risque de renouvellement de l'infraction» (les prisons ne sont-elles pas les meilleures écoles de la récidive ?) au «risque de concertation ou de pression» (qui ignore encore que les téléphones portables circulent à profusion dans toutes les maisons d'arrêt ?), en passant par «le nécessaire maintien du mis en examen à la disposition de la justice» (qui peut l'être tout autant en usant d'un bracelet électronique) et le confortable «trouble persistant et exceptionnel à l'ordre public» (qui n'a plus rien d'exceptionnel puisqu'il est invoqué dans toutes les instructions criminelles) ; les magistrats n'éprouvent plus le moindre scrupule à travestir l'esprit du texte… Et il n'est pas rare de lire, aujourd'hui encore, que l'incarcération provisoire d'un mis en examen est l'unique moyen de le protéger.

La surpopulation carcérale n’est pas un problème immobilier et sa résolution ne dépend pas du nombre de murs à construire ou à rénover. Elle est la responsabilité des acteurs judiciaires qui, en faisant de la détention provisoire la règle, finissent par fabriquer celles et ceux qu’ils incarcèrent.