Manuel Valls a été très vexé par cet article paru le 2 septembre dans le New York Times. Tellement vexé, qu'il y a répondu lundi dans le Huffington Post : «En France, démarre-t-il sur les chapeaux de roue, les femmes sont libres.» Doit-on en déduire qu'elles sont enchaînées partout ailleurs dans le monde ? Que nous, Français, laïcs, épris de féminisme et de tolérance, avons raison contre la Terre entière ? Qu'il nous incombe de faire rayonner une fois encore l'esprit de nos chères Lumières sur les autres peuples, plongés dans l'obscurantisme et inconscients complices de cette bête immonde 2.0, «l'islamisme radical» ? Que le burkini – puisqu'il ne s'agit en définitive que de ça – procède de la même logique que le jihadisme ?
Cette hystérie collective, les Américains ou les immigrés à qui je parle tous les jours à Philadelphie – mes voisins, les parents des copains de mes enfants, mes collègues, mes étudiants – essaient de la comprendre, mais ils n’y arrivent pas (je précise que la plupart ne sont ni arabes, ni musulmans, ni islamo-gauchistes, ni atteints du syndrome de Stockholm). Ils ne comprennent pas qu’on puisse empêcher les gens de vivre leur vie au nom de principes républicains, ni interdire l’expression de leur foi au nom d’une laïcité plus ou moins rigide selon la religion.
J’avoue que je ne comprends plus du tout, moi non plus, les obsessions et les névroses identitaires du pays d’où je viens. Et encore : névrose, le mot est faible. Les Français, du moins leur classe politique, sont en train de devenir des monomaniaques, des psychotiques, des sollipsistes du burkini, qui devient à son tour une métaphore de l’islam envahissant la sphère publique : on peut leur dire ce qu’on veut, même dans l’un des quotidiens les plus réputés du monde, ils sont persuadés d’être dans le vrai. Envers et contre tout. Demain, un jour, les 8 milliards d’ignorants qui peuplent la planète s’apercevront de leur erreur.
C’est du délire. Alors délirons nous aussi : dans les montagnes corses, où il m’arrive de passer mes vacances, on croise des femmes vêtues de noir, couvertes de la tête au pied. Même si elles ne font de mal à personne, un républicain pur et dur comme Manuel Valls ne saurait le tolérer : combien de temps encore devra-t-on supporter que nos principes soient foulés aux pieds par ces accoutrements moyenâgeux ? On est en France, oui ou non ?
Julien Suaudeau est l'auteur du roman Ni le feu ni la foudre (Laffont, 2016).