Menu
Libération
Chronique : "Politiques"

Une campagne sous le signe du terrorisme

Thème obligé de cette présidentielle, il désavantage la gauche et la jeune génération.

Publié le 14/09/2016 à 17h21

Chaque campagne présidentielle porte sa propre thématique. Six à huit mois à l’avance, un sujet dominant s’impose et colore le débat. Son effet n’est pas neutre, bien au contraire. En 1995, Jacques Chirac était parvenu à faire de la fracture sociale le cœur de toutes les discussions. Ainsi, avait-il pu distancer Edouard Balladur. La suite avait montré qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil mais, entre-temps, le président du RPR avait pris possession du palais de l’Elysée.

De même en 2002, Jacques Chirac, toujours excellent en campagne, toujours décevant au pouvoir, avait-il su faire de l’insécurité l’obsessionnel mantra de la nouvelle campagne. Jean-Marie Le Pen s’était ainsi qualifié pour le second tour mais le chef de l’Etat sortant était parvenu à se faire réélire. Dans les deux cas, en choisissant habilement des sujets particulièrement sensibles dans le climat du moment, il avait pu bénéficier d’un avantage sans lequel il aurait probablement été battu.

En 2007, Nicolas Sarkozy avait déployé un charisme soigneusement théâtralisé et un dynamisme pétaradant pour incarner une figure américanisée du volontarisme et de l’autorité en période de crise. En 2012, en revanche, il avait échoué à faire de l’idéologie des frontières la thématique dominante. François Hollande avait été élu sur le rejet que cette approche et celui qui la portait inspiraient alors.

Cette fois-ci, c’est sous le signe du terrorisme que s’ouvre la campagne. La multiplication des attentats, réussis ou déjoués, la menace permanente du jihadisme, l’anxiété légitime qu’il suscite, la radicalisation d’une étroite mais redoutable minorité des musulmans, l’amalgame qui est fait par beaucoup entre islam, extrémisme et violence, la peur croissante de la pression migratoire, tout cela se conjugue pour enraciner la thématique de 2017. Le terrorisme, l’insécurité et les différentes façons d’y faire face s’installent au centre du débat.

Un an plus tôt, on aurait pu imaginer que le chômage, la croissance et l’emploi tiendraient le premier rôle. Les demi-succès qui affleurent sur le terrain économique et social dédramatisent en partie le sujet, alors que l’actualité concentre chaque jour l’attention générale sur le terrorisme. La campagne de 2017 a déjà choisi son thème. Il n’avantage pas la gauche.

Ce thème va d’abord sélectionner quatre personnages principaux : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et Marine Le Pen. C’est déjà le premier effet de cette thématique tragique. Elle porte les uns, handicape, minimise ou marginalise les autres. Pour l’extrême gauche et la gauche critique, l’omniprésence de la question du terrorisme rend peu audible leurs thèses. Elle désavantage, d’un bord à l’autre de l’éventail politique, les «petits» candidats mécaniquement défavorisés.

Même pour des prétendants disposant d’une assise plus large, le thème embarrasse. Les jeunes présidentiables porteurs de renouveau (Emmanuel Macron, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet) ne sont guère attendus là-dessus. Un François Fillon, qui fait pourtant depuis longtemps des propositions précises sur le sujet, est lui aussi peu écouté. Le terrorisme semble être une question réservée au détenteur du pouvoir et à ceux qui semblent en position de le conquérir. François Hollande détient les moyens de l’Etat, Nicolas Sarkozy fut un ministre de l’Intérieur marquant et s’est fait de la sécurité une spécialité personnelle. Alain Juppé, ancien Premier ministre et actuel favori de l’élection, peut se faire entendre. Marine Le Pen s’est toujours exprimée plus tôt, plus fort, plus violemment que les autres. Le terrorisme sélectionne les candidats.

Ce n’est pas son seul effet. Il aide aussi chacun des quatre principaux prétendants à mobiliser leur temps : la gauche anti-Hollande devra, bon gré mal gré faire sur le sujet la différence entre le chef de l’Etat et ses adversaires de droite ou d’extrême droite. Marine Le Pen en fera son argument choc et mènera une croisade. Nicolas Sarkozy fera tout pour paraître plus combatif et plus énergique que les autres. Alain Juppé tentera de montrer que son expérience, sa fermeté et son respect du droit constituent la meilleure réponse. François Hollande voudra apparaître en protecteur bienveillant. Le principal risque sera évidemment que le terrorisme incite à une surenchère démagogique dangereuse.

Un clivage se creusera inévitablement entre ceux qui veulent combattre le terrorisme par les lois de la République et ceux qui veulent adapter les lois à l’urgence et à l’intensité des risques bien au-delà de la classique frontière gauche-droite.

Le mystère reste de savoir comment les Français évalueront l’alternative : surenchère sécuritaire ou religion des lois de la République, passion ou raison ? Pour l’instant, le climat porte plutôt à la passion qu’à la raison.