Bien qu’ayant pris quelque 20 kilos pendant le mois de juillet, j’ai décidé d’aller quand même à la plage au mois d’août. Je ne pouvais pas arborer mon bikini porté les années précédentes sous peine de ressembler à une baleine. Le plaisir procuré par la mer aurait été éclipsé par les regards réprobateurs que les baigneurs et les baigneuses adressent aux gros et aux grosses. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de me faire passer pour une pieuse musulmane qui ne se baigne qu’en burkini. De faire comme si je craignais plus le regard de Dieu que celui des passants, pourtant tout aussi inquisiteur. Quoi qu’il en soit, j’étais heureuse car le contact avec la mer - même aux travers de vêtements - est pour moi le plus somptueux des plaisirs. Une fois installée sur le sable, je m’apprête donc à me délasser quand soudain un policier s’approche de moi et me dit que je suis hors la loi.
- «Mais Monsieur, lui dis-je consternée, je ne suis ni musulmane, ni radicale, ni terroriste, ni machiste. Mon seul problème ce sont les 20 kilos que j'ai pris au mois de juillet…»
- «Faites donc un régime au lieu d'enfiler un burkini», me répond-il goguenard.
- «Pour perdre 20 kilos il me faudra plusieurs mois et l'été sera fini, lui expliquai-je désespérée. Je ne pourrai donc pas me baigner cette année. Pour moi, manquer cela n'est rien de moins qu'une catastrophe», ajoutai-je avec la détresse d'un enfant que l'on menace de priver d'un jouet précieux, voire de la présence de sa mère.
- «Vos mobiles importent peu, Madame la grosse, répond-il, impertinent. Vous faites du prosélytisme pour l'islam radical avec une telle tenue. A cause de vous il y aura probablement des nouveaux attentats. Et si c'est parce que vous êtes grosse que vous provoquez de tels troubles, c'est encore pire.»
Agacée par tant d’incompréhension de la part des forces de l’ordre je demande alors :
- «Pourquoi serait-ce "encore pire" ? Pourquoi les grosses, que notre société considère comme des moins que rien, n'auraient-elles pas un moment de répit et de plaisir dans la mer ?»
Il me regarde comme si j’étais folle. Pire encore : une provocatrice.
- «Mangez moins de sucre, de pommes de terre, de baguettes… Ma tante a perdu 15 kilos ainsi. Elle mangeait des concombres et des feuilles de salade toute la journée,dit-il, tout en continuant de rédiger son procès-verbal qui allait me coûter cher. Et dépêchez-vous, Madame, parce que les grosses et les gros, on les aura sous peu. On leur interdira de se promener en maillot de bain sur les plages parce qu'ils font le prosélytisme de l'obésité, une maladie qui fait mourir des centaines de milliers des personnes chaque année dans les pays développés. Plus de victimes que celles provoquées par les attentats terroristes.»
Je savais que le policier, même s’il se moquait de moi, disait vrai. On se contente, pour l’instant, de rire des gros, mais dans un avenir proche, c’est la police qu’on leur enverra afin qu’ils comprennent que leur seule alternative à la prison est l’amaigrissement. Après, on s’en prendra aux anorexiques, en arguant qu’ils font du prosélytisme pour leur régime alimentaire qui cause, lui aussi, des milliers de morts par an. Et ni le burkini ni la burqa ne pourront alors cacher ces nouvelles infractions aux lois de l’apparence.
C’est pourquoi ceux qui aiment la liberté devraient promouvoir des burkinis et des burkas laïques. Le rôle de ces vêtements serait de résister aux contrôles qui s’en prennent à nos corps pour dominer nos âmes. Et ce n’est pas pour plaire à Dieu qu’on enfilerait ces habits, mais pour empêcher l’Etat de prendre sa place. Ce serait, en plus, une excellente manière de lutter, sans faire appel à la police, contre les pratiques extrêmes de l’islam. Dans une société des burkinis et des burquas laïques généralisés, ces habits seraient alors dépouillés de toute signification religieuse.
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.