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Libération
Chronique «Ecritures»

«N’ayez pas peur, on n’est pas de la police»

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Capture d'écran d'une vidéo de la police de Tulsa. (Photo HO. AFP)
publié le 30 septembre 2016 à 17h31

C'est à Tulsa, dans l'Oklahoma. Un homme noir court, bientôt rattrapé par un policier blanc qui, croyant avoir dégainé son Taser, lui tire dans le dos avec son arme. «Je suis désolé», l'entend-on dire à la victime qui mourra un peu plus tard. La litote fait pitié, mais elle témoigne au moins d'une conscience dont manquent ses collègues. A l'agonie, le blessé tente encore de communiquer : «Je n'ai rien fait», dit-il. «Tu n'as rien fait ? Tu as couru putain !» lui réplique l'un des policiers. Penché sur la victime qui répète : «Je perds mon souffle», un autre lui hurle : «J'emmerde ton souffle.» Est-ce la dernière phrase qu'a entendue cet homme, mort pour avoir couru, son oraison funèbre : «J'emmerde ton souffle» ?

C’est encore à Tulsa. Un homme marche bras levés, suivi par quatre policiers - il est Noir, ils sont Blancs, il porte un tee-shirt, eux un uniforme, il est désarmé, eux le tiennent en joue, et soudain il s’écroule, une tache de sang s’élargit sur sa poitrine. C’est filmé d’un hélicoptère, mais ce n’est pas un blockbuster américain, c’est le réel, c’est la mort d’un homme, ça ne pardonne pas.

C'est en Caroline du Sud. Un homme court, il est abattu de plusieurs balles dans le dos par un policier qui lui passe ensuite les menottes alors qu'il agonise. L'un est Noir, l'autre Blanc, faut-il préciser lequel. Au téléphone avec un collègue, le policier évoque le meurtre. «Ça me booste», dit-il.

Le point commun à tous ces meurtres, c'est que les victimes sont des Afro-Américains, tués sans motif par des policiers qui, selon les mots d'un procureur doué d'un sens aigu de l'euphémisme, ont «agi de façon déraisonnable». Dans le jargon, on appelle ça une bavure, pourtant ce n'est pas la même chose que de mal repeindre un volet. Vous pouvez toujours repasser derrière un mauvais artisan pour réparer les dégâts. Derrière un mauvais flic, non. Aux Etats-Unis, depuis le début de l'année, plus de 700 personnes sont mortes tuées par des policiers, dont un tiers sont des Afro-Américains. Le «préjugé racial» - encore un euphémisme - dû au passé esclavagiste du pays reste très présent dans la police, nous explique-t-on.

En France, pouvons-nous vraiment regarder cela de loin ? Nous avons notre lot tragique d'Adama Traoré et d'interpellations sauvages par des cow-boys déraisonnables. On se souvient de la pub placardée dans Béziers l'année dernière, qui montrait un 7.65 mm, la crosse ornée d'un drapeau tricolore, avec ce slogan : «La police municipale a un nouvel ami». De façon à peine subliminale, la cible n'était pas française selon les critères locaux. Comme disait Coluche, «n'ayez pas peur, on n'est pas de la police».

Ces meurtres ne sont pas ordinaires, parce qu'ils sont commis par les personnes mêmes dont c'est le métier d'empêcher les meurtres. Les policiers sont payés pour préserver la vie humaine, corps et biens, avec l'idée que le corps vaut plus que les biens. Pour cette raison, logiquement, nous devrions aimer la police. «Gardien de la paix», quel plus beau titre ? Nous avons eu pour eux un (bref) élan d'affection après Charlie. Renaud l'a chanté en faisant rimer flic avec pacifique : «Entre Nation et République, je me suis approché et j'ai embrassé un flic.» On devrait s'approcher, en effet, la police de proximité, ce devrait être un pléonasme. Pourquoi est-ce le contraire ? D'accord, il y a en nous quelqu'un qui se met à courir même quand il n'a rien fait, par défi de la contrainte. Dans les films, on est souvent du côté de ceux qui se sauvent. Mais pour changer, il faudrait que la police soit conforme à ce qui la fonde : la polis grecque, la cité dans son sens le plus noble, qui a donné aussi les mots de «politique» et de «politesse». C'est dire si l'étymologie a pris du plomb dans l'aile.

Pourtant, la police, comme la politique et la politesse, est censée préserver l’harmonie dans la cité. A ce titre, un policier devrait être un citoyen puissance 10, une sorte de médecin de la cité. Solidaire. Proche et sans reproches. Un flic, c’est nous en mieux, idéalement : un modèle de dignité et de courage. Quand il l’est, nous en faisons un héros. Mais un policier raciste, fasciste, misogyne, homophobe, violent, colérique, ordurier, ce devrait être impossible, le recrutement et la formation devraient l’empêcher. Même et surtout après Magnanville, en état d’urgence, il y a urgence à être exemplaire. Affiche pour une société plus policée : «La population a un nouvel ami : le flic». Le slogan : «Je veille à ton souffle». Un nouveau serment, net et sans bavures.

Cette chronique est assurée en alternance par Christine Angot, Sylvain Prudhomme, Thomas Clerc et Camille Laurens.