Ceux, notamment au sein de la Commission, qui
se faisaient de douces illusions sur un « soft Brexit » en sont pour leurs
frais : ce sera un « hard Brexit », c’est-à-dire une rupture claire
et nette entre l’Union et le Royaume-Uni. Theresa May, la Première ministre
britannique, a rejeté, dimanche 2 octobre, tout modèle qui contraindrait son
pays à appliquer tout ou partie du droit européen ainsi que la libre
circulation des travailleurs, même si le prix à payer est la fermeture du
marché unique pour ses entreprises. Autrement dit, la Grande-Bretagne se
retrouvera d’ici à 2019, date de la fin des négociations, dans la position du
Mexique vis-à-vis de l’Union, c’est-à-dire un simple État tiers.
Mars 2017, début du Brexit
« La seule bonne nouvelle du discours de
May, c’est l’activation de la procédure de sortie de l’article 50 du traité sur
l’Union avant la fin mars 2017. Ce qui est logique si la Grande-Bretagne veut
être partie avant les élections européennes du mois de juin, les négociations
devant durer deux ans maximum », analyse un diplomate européen. Depuis le
référendum du 23 juin, les partenaires de Londres la pressaient d’annoncer une
date afin de sortir de l’incertitude. C’est fait.
Mais Theresa May est allé plus loin en
tranchant en faveur des Brexiters les plus durs : « elle a tiré les
conséquences politiques du référendum », souligne-t-on dans l’entourage du
chef de l’État français, « il n’y aura donc pas de moyen terme ».
« Le peuple a voté pour quitter l’Union. Ce qui signifie que nous allons
quitter l’Union », a ainsi martelé May. Elle a écarté expressément le
« modèle norvégien » ou « le modèle suisse » comme cadre des
futures relations de son pays avec l’Union Le premier, c’est en fait
l’Espace Economique Européen (EEE) qui intègre totalement la Norvège, l’Islande
et le Liechtenstein au marché unique : en contrepartie, ils doivent
appliquer l’ensemble de la législation communautaire sans la voter, respecter
les « quatre libertés » (libre circulation des personnes, des
marchandises, des services et des capitaux), se soumettre à la jurisprudence de
la Cour de justice européenne et contribuer au budget européen dans des
proportions proches de celle d’un État membre. Le second fait référence à la
vingtaine d’accords bilatéraux signés entre la Suisse et l’Union qui lui
permettent d’avoir accès à une grande partie du marché unique (mais pas
aux services financiers): contrepartie, là aussi, Berne doit respecter la
libre circulation et contribuer au budget.
Pour la Première ministre, la question posée
au référendum écarte tout compromis qui pourrait entamer la souveraineté pleine
et entière de son pays : « certains ont évoqué un échange entre le
contrôle de l’immigration et le commerce avec l’Europe. C’est une voie sans
issue (…) Nous déciderons nous-mêmes de l’immigration ». Un avant-goût de
ce qui attend les Européens a été donné cette semaine par les membres de son
gouvernement : le ministre de l’Intérieur, Amber Ruud, a ainsi annoncé que
les entreprise devront fournir la liste des non-Britanniques travaillant pour
eux et expliquer pourquoi elles n’ont pas fait appel à des Britanniques pur
jus. Son collègue à la santé, le bien nommé Jeremy Hunt, veut expulser tout le
personnel soignant étranger et imposer des amendes aux médecins britanniques
travaillant à l’étranger… Rappelons quand même que le pays est en plein
emploi et que sans les étrangers, le NHS, le service de santé, ne pourrait pas
fonctionner. De son côté, le Foreign Office a demandé à la London School of
Economics (LES) de ne plus faire travailler de non-Britanniques ou des
binationaux sur les études sur le Brexit qu’il lui commande pour des raisons de
sécurité nationale. Et last but not least, le ministre du Commerce, Liam Fox,
estime que les Européens résidants en Grande-Bretagne sont une « monnaie
d’échange » dans les négociations avec l’Union… (lire l’éditorial de notre correspondante à Londres)
«Il faut qu’il y ait un prix»
Or, pour l’Union, les quatre libertés sont
totalement indissociables : sans libre circulation, pas d’accès au marché
unique. Et même en imaginant que l’Union accepte de transiger sur ce point, il
faudrait, pour que les entreprises britanniques puissent avoir accès au marché
unique, que le Royaume-Uni ait une législation totalement équivalente à celle
de l’Union. Or, le référendum « signifie que nous devons avoir la liberté
d’adopter nos propres lois dans tous les domaines, de la façon dont nous
labellisons notre nourriture à celle dont nous contrôlons l’immigration »,
a insisté Theresa May. « Au début, les
législations resteront proches, puisque l’acquis communautaire déjà transcrit
dans le droit anglais ne sera pas remis en cause comme l’a annoncé la Première
ministre », décrypte un fonctionnaire européen : « Mais ce sera
de moins en moins vrai au fur et à mesure que Londres et l’Union adopteront de
nouvelles lois ». Dans ces conditions, le seul moyen d’offrir aux entreprises
britanniques, et notamment aux banques, un accès au marché intérieur est que
l’Union accepte que la Grande-Bretagne n’applique ni la libre circulation ni
aucune règle européenne. Londres, tout à son délire souverainiste, ne désespère
pas d’y arriver en jouant sur la peur des Européens de laisser dans l’affaire
quelques pourcentages de croissance.
Le problème, pour Theresa Mays, est que
l’Union a beaucoup plus à perdre qu’à gagner si elle fait la démonstration que
le Brexit pourrait être indolore, voire bénéfique, en permettant à un pays de
n’appliquer que les règles qu’il souhaite. Une brèche dans laquelle
s’engouffreraient tous les europhobes et les Vingt-sept en ont conscience. François
Hollande, dans un discours prononcé jeudi 6 octobre à l’occasion du vingtième
anniversaire de l’Institut Jacques Delors, a été d’une clarté parfaite sur ce
point : « il faut aller jusqu’au bout de la volonté des Britanniques
de sortir de l’Union européenne. Nous devons avoir cette fermeté. Si nous ne
l’avons pas, nous mettrons en cause les principes mêmes de l’Union européenne.
C’est-à-dire qu’il viendra à l’esprit d’autres pays ou d’autres partis de
vouloir sortir de l’Union européenne pour en avoir les avantages supposés et
aucun inconvénient et aucune règle. La fermeté, c’est en fait l’assurance que
l’Europe pourra préserver ses principes et notamment les quatre
libertés ». Et d’ajouter, pour bien se faire comprendre : « il
faut qu’il y ait une menace, il faut qu’il y ait un risque, il faut qu’il ait
un prix ».
La livre plonge
Une ligne dure, fixée dès le Sommet post-Brexit du mois de
juin, qui n’est contestée par personne, contrairement à ce qu’on aurait pu
craindre. Ainsi, Robert Fico, le Premier ministre slovaque, dont le pays exerce
actuellement la présidence tournante de l’Union, a lui aussi été carré dans un
entretien au Financial Times : « l’Union va utiliser cette opportunité
pour dire aux gens : écoutez, maintenant vous allez voir pourquoi il est
important de rester dans l’UE (…) Même si c’est la cinquième économie
mondiale, ce sera très douloureux pour le Royaume-Uni ». Pour lui, l’optimisme
affiché par le gouvernement britannique n’est qu’un « bluff » :
on souligne d’ailleurs à Bruxelles que l’économie britannique évitera de
justesse la récession l’année prochaine, soit une perte de croissance de près
de deux points et tous les signaux économiques et financiers sont en train de
virer au rouge vif, comme en témoigne la chute accélérée de la livre sterling,
au lendemain du discours de May et surtout de Hollande.
Désormais, chacun sait que la rupture, en
2019, sera claire et nette et les acteurs économiques vont devoir s’y préparer.
Ce qui ne veut pas dire qu’ensuite un accord de libre-échange, ainsi que divers
accords de coopération, ne pourront pas être conclus. Mais, il faudra que
Londres donne des gages sérieux durant les deux ans qui viennent sur sa bonne
volonté si elle ne veut pas se retrouver avec des tarifs douaniers pendant la période
transitoire, la négociation de tels accords prenant plusieurs années. Ce qui
est sur, désormais, c’est que Londres ne retrouvera jamais un libre accès au
marché intérieur : « même avec le CETA (le traité entre l’UE et le
Canada), il y a des conditions à respecter : les produits doivent
respecter la législation communautaire », souligne-t-on à Paris. Et, surtout,
l’accès au marché financier n’est rien moins que garanti, d’autant que ce n’est
pas forcément l’intérêt des Européens de le permettre… Michel Barnier, le
négociateur de la Commission, qui a pris ses fonctions le 1er
octobre, se prépare de longues nuits blanches et des lendemains migraineux.
N.B.: version allongée et mise à jour de l'article paru dans Libération du 5 octobre