
« J’étais manifestement attendu. Dès que
le garde-frontière de l’aéroport de Montréal a vu mon nom, il m’a emmené dans
les locaux des services de l’immigration. Il était 17 heures mardi. J’en suis
ressorti six heures plus tard sans mon passeport et avec un ordre de quitter le
territoire mercredi après-midi », raconte José Bové, que j’ai joint par téléphone. « J’ai loupé mon meeting sur le CETA, l’accord de
libre-échange entre l’Union et le Canada, mais j’ai pu au moins dormir à
l’hôtel ». Le gouvernement canadien ne voulait manifestement pas que le
député européen participe à une série de rencontres sur le CETA avec la société
civile et les syndicats agricoles québécois, à quinze jours de sa signature en
grande pompe à Bruxelles par Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, et
les responsables européens. Devant la bronca suscitée par cette expulsion,
Ottawa a finalement décidé, mercredi à 18 heures, de laisser José Bové entrer
au Québec. Il faut dire que Manuel Valls, le Premier ministre français, rencontre
à Ottawa, jeudi, le chef du gouvernement canadien, et qu’il valait mieux
éteindre ce qui menaçait de dégénérer en incendie. « Le gouvernement canadien est
dingue : s’il avait voulu se tirer une balle dans le pied, il ne s’y serait
pas pris autrement. Au moins c’est clair, ce qui compte pour lui, ce sont les
marchandises, pas les hommes », s’indigne José Bové.
Il faut dire que cet incident diplomatique, en
dépit du rétropédalage du gouvernement Trudeau, est une première avec une
démocratie avancée, comme on l’explique au Parlement européen :
« certes, Israël a déjà bloqué des eurodéputés qui voulaient se rendre
dans les territoires occupés, mais à part ce pays un peu particulier, les seuls
autres problèmes ont eu lieu avec la Russie de Poutine ou le Maroc… » Le
groupe des Verts et plusieurs socialistes français se sont d’ailleurs
immédiatement indignés de cette expulsion : « médusé par cet acte
absolument antidémocratique », a tweeté le socialiste français Guillaume
Balas, « hallucinant » a gazouillé son collègue Emmanuel Maurel.
Auditionné, par hasard, au même moment par la commission commerce international
du Parlement, l’ambassadeur canadien auprès de l’UE a été interpellé par la
verte allemande Ska Kelle : il n’a pas su quoi répondre, ses autorités
ayant manifestement oublié de le prévenir…
La décision du gouvernement fédéral canadien,
le contrôle des frontières extérieures ne relevant pas des provinces, a été motivée,
selon José Bové, par ses condamnations pénales, notamment pour le démontage du
MacDo de Millau et une série d'actes anti-OGM. L'Agence des services
frontaliers du Canada, saisi par Libération via l'ambassade canadienne à
Bruxelles, a reconnu, tout en refusant de donner les motivations de sa décision,
que « plusieurs
facteurs servent à déterminer l'admissibilité, comme la participation à des
activités criminelles, la santé et la situation financière ».
Le problème
est que le député européen s'est rendu à plusieurs reprises au Canada depuis
ses condamnations sans jamais être inquiété : « j'y ai même été un an
après avoir été incarcéré pour l'affaire du MacDo », rappelle-t-il. En
outre, comme il le remarque, Alain Juppé, après sa condamnation en 2004 dans
l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris à 14 mois de prison avec
sursis et à un an d'inéligibilité, a pu enseigner en 2005-2006 à Montréal sans que
les autorités fédérales trouvent à y redire. De là à penser que, pour Ottawa,
le détournement d'argent public est moins grave que les préjudices subis par
McDonald ou Monsanto, il n'y a qu'un pas qui ne plaide pas précisément en
faveur d'un CETA perçu comme un cheval de Troie du TAFTA ou TTIP. « Si le
Canada avait refoulé Marine Le Pen, il aurait gagné une centaine de voix. En
s'attaquant à José Bové, il vient d'en perdre le même nombre », se marre un
haut fonctionnaire du Parlement européen sidéré par l'amateurisme canadien. Ottawa
semble avoir oublié que le CETA doit être ratifié non seulement par les 28
parlements nationaux de l'Union (ainsi que par les parlements régionaux dans
les pays fédéraux), mais aussi par le Parlement de Strasbourg. Que l'on malmène
ainsi l'un de ses membres ne va pas le mettre dans les meilleures dispositions
d'esprit…