Si j’ai bien compris, il y a des gens pour mépriser les élections, les candidats, les politiques que mènent les élus - mais jamais leur propre vote. On a toujours l’ambition, que démentent pourtant des siècles d’élections, que notre opinion, la nôtre personnellement, doit être prise en compte - qu’on a notre nom à dire. D’ailleurs, chez les électeurs, on entend tout le temps : «jamais je ne voterai pour X», «plutôt Y que Z», «contre A je suis prêt à voter B». En plus, avec les primaires, ça devient du billard : on vote G pour éliminer H afin que I gagne plus facilement. A chacun sa martingale. C’est comme au Loto, on a beau n’avoir qu’une voix sur des millions, on a toujours l’espoir de tirer le gros lot. Chacun estime que sa voix est particulièrement importante, que sa dignité, son intelligence et son honnêteté sont en jeu à chaque élection et que c’est un challenge pour les candidats d’obtenir cette voix-là entre toutes. Rester indécis est la meilleure manière d’être courtisé jusqu’au bout, c’est comme jouer l’indifférence en amour. Il y aurait moins d’histoires si les élus étaient tirés au sort. Tout citoyen serait susceptible d’aller au charbon et d’essuyer les quolibets, on mépriserait peut-être un peu moins les politiciens et leur prétendue vie de château si c’était nous qui recueillions tous les crachats.
On sait que les politiques ont de moins en moins de pouvoir (et parfois c’est aussi bien), qu’ils influent difficilement sur la monnaie, sur la croissance mondiale, sur la courbe du chômage, en fait sur tout ce qui ne dépend pas d’eux comme d’ailleurs sur tout ce qui dépend d’eux. De ce point de vue, le bulletin de vote, même pour l’élection présidentielle, prend un caractère démonétisé, un peu provincial. Surtout en ce moment où les Américains donnent un spectacle à la hauteur duquel on n’est pas sûr de pouvoir grimper, quoiqu’il ne faut pas non plus ne pas prendre les Français pour des guignols, on leur montrera comment on sait déconner, nous aussi. Déjà, à l’échauffement, on voit ce que peut donner cette cuvée de Nicolas Sarkozy, et Arnaud Montebourg a annoncé qu’il ne voterait pas pour François Hollande comme si c’était sa voix qui allait faire pencher la balance et que tout le monde aspirait à recevoir la magnifique voix d’Arnaud Montebourg et celles de ses fans.
Ah, toutes ces voix, qui saura les entendre ? D’autant qu’on comprend très bien qu’Arnaud Montebourg ne veuille pas voter pour François Hollande qui lui a flanqué une fessée devant tout le monde quand il n’a pas été sage au gouvernement. Il serait bon aussi que les électeurs s’entraînent pour l’élection, ils n’auront droit qu’à deux essais. Il ne faudra pas se louper, même s’ils sont en droit de relativiser en rappelant que le président peut peu (avec des moyens moyens).
Quel électeur, aujourd’hui, pourrait dire comme Martin Luther King : «J’ai fait un rêve» ? «Je n’ai pas fait de cauchemar» semble déjà une ambition au-dessus de nos moyens. Après le grand sommeil, le petit réveil. En plus, avec le processus des primaires et des désistements, ça va être la grande foire aux voix d’occasion, les voix de seconde main, celles que le vaincu monnaie entre les deux tours, les voix de ceux qui n’ont vraiment pas le nez pour monter le bon cheval. Si j’ai bien compris, dans la mesure où pour d’obscures raisons démocratiques le vote est anonyme, le seul moyen de faire savoir à qui veut le savoir pour qui on a voté, c’est de s’abstenir.