Il suffit d'assister à une rencontre du tournoi de Roland-Garros pour constater l'engouement populaire que suscite le tennis et oblige quelquefois les arbitres à réclamer le silence des supporteurs. Au temps de Suzanne Lenglen et des Mousquetaires, jupes plissées et pantalons blancs - So British - a succédé l'arlequin des maillots individualisés. A chaque joueur son uniforme, sa marque de fabrique. Tout sport est devenu spectaculaire. Jusqu'à présent, Roland-Garros s'est - tant bien que mal - adapté à une fréquentation croissante en bricolant les bâtiments et leurs abords. Certains ont songé à délocaliser le tournoi à Versailles ou dans une ville nouvelle. Sauf à mettre en cause le statut métropolitain de la capitale et la transformer en Venise-sur-Seine, le tournoi attire les joueurs, leur entourage et les spectateurs parce qu'il est proche des attraits parisiens. Dans cette optique, un nouveau projet d'ensemble a été retenu : celui de Marc Mimram, concepteur de la passerelle Solférino, le seul pont récent qui dialogue avec la Seine, ses rives et qui peut se mesurer aux chefs-d'œuvre métalliques du XIXe siècle, celui de Michel Corajoud, paysagiste - récemment disparu - auquel on doit la réussite absolue des quais de Bordeaux. C'est leur projet commun que porte désormais Marc Mimram. Il est basé sur deux idées fortes, la destruction du court numéro 1, à l'angle des avenues de la porte d'Auteuil et Gordon-Bennett et créer un vaste espace libre et planté, pour ensuite construire un court encaissé entouré d'un anneau de serres sur le terrain des serres d'Auteuil et à la place des serres chaudes d'origine.
L'invention de Marc Mimram est de ne laisser voir que des serres courbes reprises de celles de Rohault de Fleury au Jardin des plantes et accordées à la hauteur des serres historiques d'Auteuil. Depuis qu'il a été choisi, ce projet a provoqué la protestation des riverains et alimente une campagne de presse. Le bois de Boulogne et ses abords sont ressentis par les habitants du XVIe arrondissement - par beaucoup en tout cas - comme leur jardin privé. Et l'apostrophe «Casse-toi salope !» adressée à la préfète, qui exposait la nécessité d'accueillir des réfugiés, s'adresse en des termes plus châtiés aux porteurs du projet de Roland-Garros.
Le patrimoine, ce n'est pas le goût antiquaire et il ne peut définir la tendance à chiner dans le marché aux puces des constructions passées. Elles ne sont pas toutes égales et la seule ancienneté n'est pas suffisante. Il n'y aurait pas, sans cela, à l'initiative du ministère de la Culture, un patrimoine du XXe siècle et même du XXIe ! «Conserver, c'est transformer», disait avec force Aurelio Galfetti, architecte tessinois, c'est la condition première de la survie du patrimoine qui doit faire face aux changements d'usage, à la fréquentation populaire, à l'usure du temps. Il n'est qu'à comparer la Grande Galerie de l'évolution du Muséum national d'histoire naturelle et le musée d'Orsay pour comprendre qu'une intervention doit être lisible, réversible, pour être compatible, et ne pas présenter un état illusionniste qui, sous le prétexte de préserver, laisse entendre que les abris en alu et plastique, sous le prétexte qu'ils sont de même usage, seraient de la main de Formigé.
Le projet de Marc Mimram a l’avantage de s’inscrire dans la géométrie des serres d’Auteuil, mais d’être indépendant. Si demain on décide de le transformer ou de le démolir, cela ne mettra pas en péril les bâtiments de Formigé, ni la suite de l’histoire. Mais peut-être les riverains voudraient faire classer Monuments historiques, par contamination ou contiguïté, les actuelles serres chaudes que chacun peut se procurer dans une jardinerie. Le droit du sol ou le droit du sang sont ici convoqués pour étayer un point de vue au mieux passéiste.