Si j’ai bien compris, la présomption d’innocence, qui était un principe, devient un goût. Il ne faudrait pas qu’elle s’applique à n’importe qui. Chacun semble estimer que c’est à lui d’en choisir les éventuels bénéficiaires. Les procédures judiciaires n’ont pas empêché Jacques Chirac de rester président de la République ni n’empêchent Nicolas Sarkozy de tâcher de le redevenir, mais où va-t-on si Jean-Marc Morandini peut animer une émission après avoir été mis en examen ? Eclaircissons cependant les choses : pour ses émissions, à la rigueur, l’animateur n’a plus droit à la présomption d’innocence. Certes, on peut d’autant moins les censurer qu’elles ont leurs amateurs et que la liberté a ses contraintes, mais on ne jettera pas la pierre à ceux qui méprisent ces programmes. Certes, la stratégie (si le mot n’est pas trop fort) de Vincent Bolloré à i-Télé manque de visibilité, ce qui n’est jamais bon à la télé, tout en étant contradictoirement trop transparente quant à sa volonté de ne pas laisser les journalistes tâcher de faire du journalisme de qualité (et, dans tous les médias, on doit redouter que cette triste pente fasse tache d’huile). Il n’empêche que, pour l’instant, la seule indignité dont Jean-Marc Morandini a été reconnu coupable aux yeux de beaucoup, c’est d’animer ses émissions.
Voilà encore un échec de François Hollande qui avait mis la jeunesse au cœur de ses promesses : des chômeurs mineurs de sexe masculin seraient contraints, pour trouver du travail, d’aller passer un entretien d’embauche nus dans l’appartement privé de l’employeur en étant invités à y manifester une satisfaction ostensible. Sans être familier du monde du cinéma et de la télévision, on imagine comment la qualité artistique de chacun des postulants peut influer sur les effets du casting. On suppute que si Jean-Marc Morandini n’avait été mis en examen que pour travail dissimulé, l’émoi aurait été moindre. C’est comme si l’histoire d’Outreau n’avait servi à rien, les victimes présumées - c’est ce qu’elles sont tant que rien n’a été jugé - sont déjà considérées comme des victimes indiscutables et ô combien à plaindre. On a l’impression que les affaires de mœurs mettent immédiatement en branle l’inconscient du public et des médias plus que la réalité de la justice. Quant aux avocats qui se flattent de défendre de telles victimes, ils ne sont pas forcément tous des chevaliers blancs mus uniquement par la compassion et le désintéressement.
En tout cas, vu en outre son amitié pour Nicolas Sarkozy, Vincent Bolloré paraît n’avoir aucun préjugé contre ceux qui ont affaire à la justice. Si tous les patrons étaient comme ça, la réinsertion ne serait pas un tel problème en France. Vincent Bolloré a sans doute une vision mondialiste de l’entreprise et se demande pourquoi ce qui marche dans une plantation africaine ne rencontrerait pas un semblable succès dans une chaîne d’information française. Et il ne peut pas respecter en permanence la parole donnée, alors, si ce ne doit être qu’une fois, ce sera avec Jean-Marc Morandini. Mais, si j’ai bien compris, il faut qu’on se sente drôlement coupable pour défendre si mal la présomption d’innocence (qui semble curieusement être devenue infamante).