Humoriste habitué de la maison Bolloré, Stéphane Guillon est en promo pour son spectacle sur le plateau du Grand Journal, émission de la maison Bolloré. Jusque-là, rien d’anormal. Une promo ordinaire entre bons amis de la télé. Mais Stéphane Guillon, ces temps-ci, n’est pas un humoriste ordinaire. Il est entré en dissidence. A plusieurs reprises, il s’est montré dangereusement critique des méthodes du patron Vincent Bolloré. La veille, il est allé soutenir les journalistes d’i-Télé en grève contre les décisions de Bolloré. Les représailles n’ont pas tardé. L’animateur-producteur porte-flingue de Vincent Bolloré, Cyril Hanouna, a organisé dans sa propre émission un aimable mini-sondage : «Faut-il virer Guillon ?» Il a balancé à l’antenne le montant du cachet de Stéphane Guillon (10 000 euros par chronique, montant qui avait déjà été publié quelques années plus tôt). Représailles ordinaires entre amis de la télévision.
Mais cette fois, les représailles prennent un tour inhabituel. Alors que s'achève la promo de Stéphane Guillon, qui donc déboule sur le plateau du Grand Journal ? Cyril Hanouna en personne. Comme le hasard fait bien les choses ! Comme le monde est petit ! Justement, il tournait son émission dans le studio voisin. Mais il n'est pas venu animé d'intentions belliqueuses. Il est venu faire «un petit bisou» à celui dont il est en train d'orchestrer le licenciement sur le plateau d'à côté. Le bisou de la paix. Le bisou de l'amour. «Je voulais dire bonsoir à mon ami Stéphane Guillon, on était super potes. Parce qu'il était énervé pour un truc, mais voilà, je voulais l'embrasser.»
Pas de chance : le super pote a quitté les lieux à l’instant précis où Hanouna y entrait. Allergique aux bisous, sans doute. On imagine les affres du présentateur, Victor Robert, prévenu des intentions bellibisouqueuses de Hanouna, et qui avait sans doute promis à Guillon qu’il n’aurait pas à subir le bisou fatidique. Mais peut-on refuser quelque chose au porte-bisous du patron ? Privé de pouvoir bisouiller Guillon, Hanouna se venge sur tout ce qui bouge sur le plateau. Il ne sera pas dit qu’il est venu pour rien. Trio de chroniqueurs, animateur et l’invité, le navigateur Yvan Bourgnon, venu là pour tenter de vendre la cause de la dépollution des océans : tout le monde y passe. S’il pouvait, dans son élan, on devine que Hanouna bisouillerait bien aussi les petits poissons, les bancs de plastique et les océans tout entiers. C’est tout mignon, les petits poissons.
A vrai dire, le bisou, en ce moment, est un sujet brûlant chez Hanouna. Voici quelques mois, la brigade de bisouilleurs de Hanouna était tombée sur un autre rebelle en la personne du rappeur JoeyStarr, lequel avait (un peu rudement) refusé un bisou made in Hanouna. Dévasté par une si cruelle rebuffade, Hanouna avait lui-même refusé de rendre l’antenne de son émission s’il n’obtenait pas d’excuses du rappeur.
Et la semaine dernière encore, l’équipe de Hanouna a été ravagée par une vague d’incompréhension contre le bisou. A l’antenne, un des sous-bisouilleurs de Hanouna a embrassé sur le sein une bimbo, venue jouer le rôle de Kim Kardashian, mais qui avait timidement, l’innocente, manifesté sa réticence. Le CSA a été assailli de plaintes de mauvais coucheurs bisouphobes. Au bord des larmes, dans l’émission suivante, le sous-bisouilleur, accusé d’agression sexuelle, a protesté qu’il avait sous-bisouillé sans penser à mal.
Il faudrait parvenir à dégager une sémiologie du bisou dans la troupe de Hanouna. Le bisou est innocent. Comment soupçonner le bisou ? Un simple petit bisou. Une chose semble claire : une sorte de rapport direct entre le bisou, l’affirmation de pouvoir et le marquage de territoire. Comme les chiens mouillent les arbres pour borner leurs territoires, Hanouna semble s’être vu confier pour mission de barbouiller les frontières de l’empire Bolloré de bisous bien gluants pour marquer les réfractaires. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’un bisou de Hanouna, ou d’un des sous-bisouilleurs de Hanouna, ne se refuse pas. Comme une clause de conscience proposée à un journaliste réfractaire. Comme un gros chèque de départ à un dirigeant indésirable. Ces propositions qui ne se refusent pas, tiens, tiens, ça rappelle un film. Mais lequel, donc ?