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Libération
TRIBUNE

Non, monsieur Sarkozy, les femmes n’ont pas toujours été libres…

… et la liste des droits et des libertés à conquérir est encore longue : égalité de salaire entre les femmes et les hommes, réglementation du porno, et pourquoi pas un duo présidentiel. Chabadabada.
Nicolas Sarkozy à Calais, le 21 septembre (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
par Helena Noguerra
publié le 23 octobre 2016 à 17h11
(mis à jour le 23 octobre 2016 à 17h44)

Cher monsieur Sarkozy,

Quand vous dites, le 9 octobre, au Zénith de Paris : «La femme n'est soumise à aucune pression vestimentaire parce que chez nous, en France, la femme est libre depuis toujours.» De quelle liberté parlez-vous ?

Non, parce que, juste pour faire un point :

- Jusqu’en 1800, nous n’avions pas le droit de porter le pantalon.

- Jusqu’en 1907, nous n’avions pas le droit de disposer de nos salaires.

- C’est seulement en 1924 que nous avons enfin eu le droit de passer le bac.

- En 1938, l’incapacité juridique des femmes est levée. Et nous pouvons enfin aller à l’université, avoir une carte d’identité ou un passeport sans l’autorisation de notre mari, mais il peut toujours nous interdire de travailler.

- Jusqu’en 1944, nous n’avions pas le droit de vote.

- Jusqu’en 1965, nous n’avions pas le droit d’avoir un compte en banque sans l’autorisation du mari.

- En 1972, la loi sur l’égalité des salaires dit à travail égal salaire égal (heu… ça s’applique combien de temps après, une loi ?).

- En 1975, les maris n’ont plus le droit de lire le courrier de leur femme et nous avons enfin le droit d’avorter…

Ce ne sont là que quelques échantillons de nos libertés gagnées au fil du temps.

Vous avez dû confondre, c’est sûr. Si préoccupé de nous voir aller dans les rues, cheveux au vent, que vous avez pris vos désirs pour des réalités. Comme c’est gentil de penser à nous, les femmes, et comme cela nous touche. Par contre, pour ce qui est de nous protéger d’une tenue qui nous mettrait en état d’infériorité, une loi anti-burqa a déjà été validée, en 2010, par le Conseil constitutionnel et devant la Cour européenne des droits de l’homme (1).

Une autre loi, quant à elle, proclame la liberté religieuse, dont la seule limite est l’ordre public. Au fond, est-ce que le voile ou le burkini gênent l’ordre public ? A mon sens, bien que je n’en veuille ni pour moi ni pour mes «sœurs», ce qui est inquiétant et inadmissible, c’est la pression exercée à l’encontre de celles qui ne désirent pas le porter et qui s’y soumettent pour rester en paix, éviter les colifichets ou la mauvaise réputation, ne pensez-vous pas ?

Alors trouvons les outils qui donnent la force et le courage d’être des insoumises et restons du côté des libertés individuelles. Et puis, monsieur Sarkozy, si toutefois vous ou tout autre candidat(e) vouliez vous battre pour améliorer la condition et la liberté des femmes, je propose ici le début d’une liste de priorités.

Pour une égalité et une liberté entre les hommes et les femmes, vous pourriez commencer par l’éducation et repenser le système éducatif. Pourquoi ne pas nous inspirer du système scandinave, qui a déjà fait ses preuves. Le rôle principal de l’enseignant est d’aider l’élève à fortifier son «estime de soi». Il faudrait lui redonner ses lettres de noblesse (et un salaire à la hauteur de sa fonction) et, avec lui, remettre l’école à une place centrale.

Notre école semble moribonde. Les élèves semblent y échoir, comme abandonnés par des parents corvéables à merci et travaillant comme des forcenés pour arriver, tant bien que mal, à gagner un salaire de misère dans un système qui ressemble étrangement à un système féodal. Créer une école où parents et professeurs travailleraient de pair à la construction d’êtres libres, capables de comprendre le monde, afin de le réinventer et non s’y soumettre. Créer un esprit libre, indépendant et critique ! Créer des insoumis !

Nous devons éduquer nos filles à ne compter que sur elles-mêmes à être des individus forts, et non pas le sexe faible, et les garçons à considérer les filles comme des alter egos. Donner une place à chacun.

Vous pourriez également faire de l’égalité des salaires une priorité. Vous êtes au courant qu’il y a encore 19 % d’écarts de salaire entre les femmes et les hommes en 2016 ? Depuis 1972, pas moins de cinq lois ont été votées sur le sujet, avec autant de décrets. Vous pourriez, je ne sais pas, moi, rappeler aux entreprises leurs obligations légales.

Ah, et que comptez-vous faire pour le harcèlement sexuel ? Vous pourriez commencer par faire appliquer les lois existantes ? A votre place, enfin, si j’étais candidate à la présidence, je mettrais dans mon programme des cours de philosophie dès la maternelle. Changer le programme.

C'est épatant ce mot tout de même. Programme ? Oui, il s'agit bien de programmer nos petites têtes blondes.

Alors, visiblement le programme est déficient. C'est pourquoi j'insiste sur la réforme de l'éducation. C'est dans le programme qu'il y a un bug. On mettra sans doute deux ou trois générations avant de retrouver une douce France, mais avec le bon programme, on y arrivera, c'est sûr.

Vous pourriez aussi penser à légiférer sur les sites pornographiques. Ils sont libres d’accès et, à tout âge, on peut y trouver un catalogue de femmes répertoriées par catégories et morcelées telles des carcasses de bœuf sur l’étal d’un boucher.

Parmi des choses, plus ou moins digestes, on y trouve des femmes violentées, témoignant de leur «joie» à avoir traversé cette expérience. Ces témoignages, cherchant à expliciter qu’il s’agit bien de fictions, portent néanmoins à confusion. Il faut, il me semble, être «outillé» pour interpréter les dires de ces jeunes filles, alors qu’on vient de les voir se faire maltraiter avec une brutalité dénuée d’humour et un brin trop réaliste. Et l’on s’étonne que pour 20 % des Français un «non» puisse vouloir dire «oui».

Et puis ne laissez pas filer notre droit à l’avortement et le mariage pour tous, hein ? Est-ce qu’un gouvernement paritaire ne serait pas une bonne idée ? Ou mieux, pourquoi ne pas imaginer un duo de présidents ? Un homme et une femme à la tête de la France ? Pas mal du tout ! Chabadabada. Et un hymne revisité par M. Michel Legrand ? Un truc un peu moins sanglant, un hymne sensuel, une chanson d’amour quoi. Oui, parce que c’est d’amour qu'il devrait être question. Un regard bienveillant posé sur ses compatriotes, sur leur condition de plus en plus misérable.

Evidemment, cette liste n’est pas exhaustive et s’ouvre aussi à d’autres sujets que la seule condition de la femme. La liste de nos envies sera féministe et humaniste !

Alors, mesdames, nous représentons 53 % de l’électorat, profitons-en et engageons-nous ! Et si, comme moi, vous sentez que quelque chose d’invisible nous est retiré chaque jour, si comme moi, vous entendez derrière les discours paternalistes, un fond de patriotisme, si comme moi, vous ne voulez plus être alibi mais sujet, je vous propose qu’ensemble nous exigions un réel changement. Avec nos 3 %, nous pouvons faire basculer les résultats électoraux. Alors soyons exigeantes et réclamons plus d’humanité dans les programmes !

(1) Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.