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Blog «Les 400 culs»

Nuits cuir, sexe et doigt d’honneur

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Depuis trois ans, Mag et Lau traversent les nuits de l’underworld, traquant dans les soirées de sexe bizarre une «forme de religion». Les officiants de ces cultes nocturnes portent des cagoules. Ou des épines plantées dans la peau.
Photo de Maglau prise à la soirée japonaise deptH (Tôkyô), 2 novembre 2013. Extrait du livre Fetish Ballad (édtions Verlag Kettler) (Laurent Muschel)
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publié le 23 octobre 2016 à 19h24

«Le fétichisme c'est une forme de religion.» Photographe né en France en 1968, Maglau porte un pseudonyme mêlant son prénom et celui de sa femme. Mag+Lau=amour. A Tokyo, Berlin, Amsterdam, Paris ou Bruxelles, Maglau documente depuis maintenant trois ans des événements relevant du rituel dont les images, rassemblées en un livre-choc font l'effet d'une décharge : Fetish Ballad. La grandeur y côtoie la misère. Regards de toxicos lâchés face à l'objectif. Cages thoraciques décharnées. Crânes dégarnis sous des perruques extravagantes… Les créatures qui célèbrent ces messes exhibent leurs corps vieux, laids ou dans des tenues qui se veulent érotiques et des célébrations qui se veulent joyeuses. Tout est artificiel.

Mais c'est justement là, au cœur de ces apprêts, que Maglau a su voir la beauté. Rares sont les photographes capables de saisir la vérité des êtres lorsqu'ils accomplissent leurs pathétiques rituels. Maglau fait partie des grands, des très grands «voyeurs» qui visent le sublime dans la déglingue, parfois même la fange : pépé maso, travesti obèse, garçon sauvage. Peu importe. «Je suis admiratif de ces fétichistes décatis ou abîmés qui s'exhibent. Cela peut sembler pathétique mais ils font un doigt d'honneur à la mort.»

Les photos fétichistes sont généralement glamours. Maglau, lui, ne s'intéresse qu'au réel. Cela donne à ses photos une puissance telle qu'à les voir on se sent fouetté par l'envie d'une nuit fauve. Le goût du sexe vous revient en bouche. Ça va avec le grotesque des clichés. On se demande : y a-t-il un lien ? Maglau répond. «Le beau est ce qui transcende même dans ces scènes parfois sordides. C'est ce que j'ai essayé de révéler avec mes photos.» Il cite Julien Green : «Le mystique et le débauché volent tous deux aux extrêmes et cherchent l'un et l'autre à sa manière, l'absolu.»

Pour Maglau, la débauche est religieuse. «Les religions sont fétichistes; Marie, la croix. Le talith (le châle de prière)…». Impossible d'éliminer le fait religieux. «La franc-maçonnerie qui a essayé de se débarrasser des religions a réinventé un rituel hyperfétichiste et codé», dit Maglau. Il ajoute : «Cela m'a toujours attiré. Quand j'étais jeune adolescent, j'étais très religieux. Et puis j'ai découvert la philosophie et Dostoïevski : «Si Dieu n'est pas, tout est permis». Effrayant. J'ai fait une maîtrise de philosophie sur «comment fonder la morale sans Dieu?». Tout ce qui relève du comportement de transgression m'intéresse.»

Pas étonnant d'apprendre que Maglau est un adepte de sports extrêmes : «comportement ordalique, paraît-il». La mort ? «Les trois quarts de ma famille ont disparu, gazé ou brûlé. J'ai passé beaucoup de temps avec ma grand-mère qui était traumatisée par la guerre. Alors, oui j'ai une conscience aiguë de la précarité de notre monde.» Quand on lui demande d'expliquer l'histoire de sa famille, Maglau raconte un épisode marquant, «fondateur», dit-il. «Un jour en 1943 je crois, une patrouille de la police de Vichy vient fouiller la maison où mes grands-parents étaient hébergés dans le Vercors. Ils étaient à la recherche de cache de résistants. Ils regardent leurs fausses cartes d'identité (Meunier sur leurs faux papiers). Ça passe. Ils fouillent dans la maison. Ils ne trouvent pas les armes qui étaient cachées. Au chevet du lit, une photo en noir et blanc, très belle de mon grand-père. Le policier la prend dans ses mains et dit «belle photo». Puis la repose. A l'arrière de la photo, il y avait écrit «à ma mère adorée» en allemand. Mon grand-père avait voulu l'envoyer à sa mère mais il n'avait plus de ses nouvelles. Si le policier avait retourné la photo, il aurait compris qu'il avait en face de lui des juifs allemands réfugiés et je ne serais pas là… Le poids d'une photo.»

Fetish ballad, de Maglau, éditions Verlag Kettler. Préface de Véronique Bergen («Corps mutants dans la nuit»).

En vente à La Musardine et à la Librairie photographique le 29. Exposition prévue à la galerie Dujat (Bruxelles) prochainement.