Dans un entretien au magazine Causeur (1), Eric Zemmour parle du respect qu'il éprouve pour les martyrs islamistes. La justice a immédiatement ouvert une enquête pour apologie du terrorisme, ce qui a ému les amis du polémiste. Comment le plus grand ennemi de l'islam peut-il être accusé de vanter les mérites de ceux qui sèment la mort en son nom ? C'est comme si la justice conduisait ses dossiers en état d'ivresse, estime le philosophe Alain Finkielkraut. Pourtant, il est indiscutable que Zemmour fait l'apologie du terrorisme. Certes, il ne soutient pas cette idéologie mais bien une méthode : le terrorisme est à ses yeux un moyen légitime du combat politique. C'est précisément ce que la loi interdit dans le délit d'apologie du terrorisme, n'en déplaise aux alliés de Zemmour qui ne supportent pas de l'imaginer en prison avec des barbus radicalisés.
Mais pourquoi alors les respecte-t-il ? Est-ce le fait qu’ils meurent en martyrs pour défendre leur cause ? Si choquante soit cette idée, elle est malheureusement ancrée dans les sociétés occidentales depuis bien longtemps. Elle peut se résumer ainsi : celui qui tue son prochain au nom d’une croyance politique et en donnant sa vie est pardonné de son crime. Non que son acte ne soit pas condamnable. Ce sont ses mobiles qui sont purifiés par le sacrifice qu’il fait de sa vie. Si l’assassinat qu’il commet peut servir d’outil de propagande, c’est parce qu’il le délivre de sa responsabilité. Il transforme son acte en une horreur dont le véritable auteur n’est pas lui mais son ennemi. C’est pourquoi les terroristes attribuent les assassinats qu’ils ont commis en France au gouvernement qui fait la guerre à leur Etat islamique ou qui pratique, selon eux, une politique d’apartheid envers la population musulmane. Le pouvoir de propagande du terrorisme kamikaze se fonde précisément sur ce transfert de responsabilités. Et cela fonctionne. Non seulement cette méthode leur permet de recruter de nouveaux kamikazes, mais elle parvient même à émouvoir certaines de leurs victimes. N’a-t-on pas entendu quelques-uns des parents des jeunes assassinés au Bataclan attribuer leur tragédie au racisme ou à la politique étrangère de la France ? Si les terroristes ne mouraient pas en même temps, on les prendrait pour les plus méprisables des assassins. Ce qui caractérise le kamikaze n’est pas de risquer sa vie au combat, mais de la donner en sacrifice. Ce qu’il cherche à travers sa mort n’est pas de produire le maximum de victimes, mais de transformer ses assassinats en actes symboliques dans lesquels sa responsabilité est effacée et transférée. Certes, le but de Zemmour n’est pas d’expliciter l’efficacité de cette propagande. On sait bien que cet homme se soucie moins de la vérité de ses propos que de leurs effets dans l’opinion publique.
Si la justice a ouvert une enquête, ce n’est pas parce qu’elle serait devenue folle, mais parce qu’elle a bien compris ce que Zemmour a dit. Afin que ce pays recouvre son ancienne grandeur, il invite ses concitoyens à passer outre les méthodes démocratiques et à devenir des kamikazes pour combattre les ennemis de la France Eternelle. Tout comme les islamistes qu’il respecte, Zemmour cherche par ces méthodes à glorifier une cause perdue. C’est cela que l’on oublie souvent.
Le kamikaze est le soldat d’une guerre qu’il sait perdue d’avance. Son but n’est pas de vivre dans la société de ses rêves, mais de mourir parce qu’il sait que ni lui ni personne d’autre n’aura la «chance» de la voir advenir. C’est un assassin mélancolique qui cherche à détruire le maximum de vies parce qu’il est conscient qu’il ne pourra rien construire. Les jihadistes tuent et meurent au nom d’un califat impossible. Zemmour voudrait en faire de même au nom d’une France révolue, tels des fléaux dans un monde peuplé d’hommes.
(1) Le 6 octobre.
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.