J'apprécie, il le sait, Paul Chemetov, non seulement parce qu'il fait une architecture estimable, mais plus encore parce qu'il est un des rares dans sa profession qui pense et écrive sur la ville et l'urbain. Qu'il me permette donc de lui dire, en toute amitié, que l'argumentation qu'il a tenue dans ces colonnes (Libération du 19 octobre) sur l'extension de Roland-Garros dans les serres d'Auteuil n'est ni ordonnée ni raisonnable. Si l'on veut comprendre l'enjeu d'un débat qui défraie la chronique judiciaire depuis plusieurs années sur l'avenir des Internationaux de France de tennis, il est nécessaire de distinguer quatre points de vue. Le premier intéresse la place du sport de haut niveau dans la société contemporaine. Contrairement à beaucoup d'intellectuels, qui soulignent ses dérives mercantiles, je pense qu'il participe à la vie sociale et économique d'une nation et d'une capitale mondiale comme Paris. Roland-Garros, avec ses foules, ses engouements communicatifs, ses champions mythifiés, fait partie de l'«avantage métropolitain» de Paris. La deuxième question concerne la localisation du tournoi dans l'agglomération parisienne. A l'étroit, porte d'Auteuil, fallait-il qu'il y reste ? Là encore, les adeptes de la «ville émergente» n'ont pas manqué pour proposer de desserrer la compétition dans la périphérie, à l'instar de l'US Open à Flushing Meadows. Mais New York n'est pas Paris, avec sa centralité historique. Pour des raisons autant symboliques de continuité que fonctionnelles, surtout d'accessibilité, Roland-Garros devait rester porte d'Auteuil. Mais là s'arrêtent mes points d'accord avec Paul Chemetov. Le site d'extension choisi est le pire qui soit en zone d'urbanisation dense. Chasser des implantations sportives scolaires pour construire le Centre national d'entraînement de la Fédération française de tennis (FFT), empiéter sur un jardin historique classé pour un court semi-enterré de 5 000 places est un non-sens urbanistique. En pareille situation, il faut s'efforcer de créer du sol urbain pour ajouter des fonctions, au lieu de soustraire des usages sociaux existants.
Cet entêtement ne s’explique que par l’angoisse des édiles successifs de la capitale devant la menace de départ des Internationaux de France, et le manque d’ambition d’une Fédération incapable de voir ses intérêts à long terme, en choisissant de fractionner ses nouvelles implantations, sauf à lui prêter l’intention perverse d’annexer à terme l’ensemble du jardin des serres d’Auteuil. Car l’alternative existait : recouvrir les infrastructures autoroutières à ciel ouvert, attenantes au site actuel. Malgré le surcoût, mesuré, du projet, et les craintes phobiques des tunnels autoroutiers avancées par certains, c’était un investissement d’avenir pour tous, le tennis, la ville, l’environnement. Il nous aurait épargné bien des développements hasardeux sur les rapports de la modernité et du patrimoine. Evidemment, sous peine de devenir une ville fossilisée et muséifiée sous son histoire architecturale, une ville doit évoluer, se transformer, mais pas dans n’importe quelles conditions. Ce n’est pas l’audace qui légitime la réussite, mais l’intelligence du «génie des lieux», la dimension du site, la compréhension et l’imagination de ses usages présents et futurs. Il faut au concepteur, non seulement du talent et de l’innovation, mais le sens de la mesure. Marc Mimram, l’architecte de la FFT, est un bon ingénieur et un constructeur de ponts inventif, mais est-il permis de mettre en doute ses capacités d’assembleur urbain, quand on voit le massif paquebot de croisière qu’il a construit porte Molitor pour le Centre de la FFT au milieu des façades haussmanniennes du boulevard des Maréchaux et de l’architecture des années 30 du lycée La Fontaine ?
Dans ce combat douteux, qu'il nous soit épargné, au lieu de «la lutte des places», le retour inopportun de «la lutte des classes», qui opposerait des bourgeois transis du XVIe arrondissement, arc-boutés sur leurs privilèges, à des esprits éclairés du XXIe siècle. Les démêlés judiciaires actuels ne sont que le résultat de l'effacement d'un pouvoir municipal, qui de la piscine Molitor aux serres d'Auteuil s'est montré ici peu soucieux de l'usage social des lieux. Il est toujours regrettable de demander au juge de trancher les faiblesses de la décision politique. La financiarisation de la ville n'explique pas tout.