Dix mois, il aura fallu attendre dix mois pour que les travaux d’extension de Roland Garros dans le jardin des Serres d’Auteuil ne reprennent, marquant la fin d’un énième rebondissement dans la bataille juridique qui oppose la Fédération française de tennis aux riverains et aux soi-disant défenseurs du patrimoine.
La raison de ce nouvel épisode? Le recours des opposants pour atteinte aux droits d’auteur de l’architecte Formigé, concepteur du jardin en 1898. On peut d’ailleurs légitimement s’étonner de cette action; les serres qui vont être détruites ne sont pas l’œuvre de Formigé mais datent pour une partie des années 1990 et de 2001 pour l’autre. Et il faut bien reconnaître que leur dessin, très fonctionnel, n’a vraiment pas grand intérêt architectural.
Manifestement, cette nouvelle opposition ne porte donc pas sur une volonté de protection patrimoniale, mais révèle plutôt un conservatisme alibi. Elle apparaît en effet bien plus comme un prétexte pour s’opposer à toute modification de ce jardin aujourd’hui fréquenté majoritairement par les seuls habitants de ce quartier huppé -comme si leur plus grande peur était de voir se succéder les visiteurs, bien au-delà des trente badauds par jour que connaît actuellement le jardin.
De la réinterprétation des écailles de verre
Alors c'est vrai, les habitants du 16e arrondissement de Paris et de Boulogne n'ont pas été épargnés ces dernières années, avec la création de gros équipements sans âme qui ont grignoté leurs espaces verts. Ainsi du stade Jean-Bouin, dont l'insertion urbaine est plus que discutable, ou encore de la piscine Molitor hors de prix, plus proche du massacre que de la reconquête patrimoniale. Mais il n'en va pas de même pour le projet de la FFT. Réinterprétant les écailles de verre des serres de Formigé, le nouveau bâtiment projeté par l'architecte Marc Mimram dialogue tout en finesse avec les serres historiques.
A écouter les opposants, serait-ce à dire que ce projet est trop beau, trop cohérent et que par respect pour les serres de Formigé, il aurait fallu un bâtiment plus pauvre sur un plan architectural? Faudrait-il revenir aux champs en friches et aux serres de fortunes démontables chaque année, comme ils l’étaient à l’époque de Formigé? Soyons sérieux!
Avec ce projet, non seulement la mairie de Paris va bénéficier gratuitement de nouveaux aménagements et de nouvelles serres de collection plus performantes, le tout pour un coût réduit (ce qui n’est quand même pas rien dans un contexte de disette budgétaire!), mais le projet est une réelle aubaine pour ce patrimoine. La construction de nouvelles serres va participer à redynamiser le lieu, aujourd’hui méconnu.
Insuffler une nouvelle énergie
N’y aurait-il pas même fallu aller plus loin, en confiant l’ensemble du lieu à la Fédération française de tennis, qui bénéficie des moyens financiers considérables pour la restauration de l’ensemble du jardin? Jusque-là confiée aux services municipaux, la gestion du jardin a conduit à des transformations violentes des bâtiments et à une dénaturation de l’œuvre de Formigé. C’est d’ailleurs sans doute pour toutes ces raisons que le ministère de la Culture, soucieux d’arrêter la casse, a décidé de protéger en 1998 cet ensemble en l’inscrivant au titre des Monuments historiques.
Conserver le patrimoine, ce n’est pas laisser le statut quo jusqu’à la ruine. Trop de projets de reconversion ou de création sont bloqués sous prétexte de conservatisme. C’est particulièrement vrai à Paris; il n’est qu’à voir le projet de la Samaritaine, rue de Rivoli.
Pour insuffler une nouvelle énergie et redonner le patrimoine au public, il faut parfois accepter les investissements privés, et les transformations et extensions qui s’intègrent au site ou avec le bâtiment protégé.
Implanter un terrain sportif et des serres dans un jardin, quoi de plus naturel ? C’est ainsi que dans le cadre d’une concession, le projet de Roland Garros va faire évoluer le Jardin des Serres d’Auteuil et accroître l’attractivité de ce véritable joyau architectural et paysager. Loin des conservatismes, c’est un exemple à méditer pour la sauvegarde de nos monuments.